Poésie 詩詞

Texte : Bernard Pokojski

 
  Jean Métellus, pipirite chantant
讓.梅特呂斯 — 唱歌的「比比利特」
 
 

« Jean Métellus incarnait l’érudit parfait. Et je ne suis pas étonné de retrouver dans son œuvre toutes ces expériences intellectuelles. La condition noire l’intéressait beaucoup, mais la condition humaine l’intéressait encore davantage. Je l’ai rencontré par la suite à Paris, à Ouessant... et j'ai fréquenté son œuvre, immense et belle, qui est une quête permanente d’horizons crépusculaires. » (Rodney Saint-Eloi, poète haïtien)

lustré par le silence
l’homme nourri de prières abrité par l’ombrage des morts
l’homme de l’exil
l’homme d’eau et de feu
l’homme de nulle part plonge
l’horizon dans un très grand éblouissement
(Jean Métellus)

Le 4 janvier dernier Jean Métellus s’en est donc allé, âgé de 76 ans, et celui qui avait connu « ce dur métier de l’exil » pour reprendre Nazim Hikmet, était né à Jacmel, en Haïti, aîné d’une famille de 15 enfants. Homme de grande taille, il avait aussi appris de son père à pétrir la pâte et à se lever tôt. A la fin de ses études secondaires, au lycée Pinchinat de Jacmel, il devient pendant deux ans professeur de mathématiques et de sciences naturelles dans sa ville natale.

Mais l’ombre de François Duvalier se profilait déjà et le jeune enseignant, responsable syndical, se sentait menacé : « Un jour de plus et j’étais emprisonné. Mes amis sont morts. En tant que professeur suppléant, comme on disait à l’époque en Haïti, j’avais la possibilité de voyager et de poursuivre mes études. » En 1959, il débarque à Paris avec 75 dollars en poche afin de fuir la dictature. Commencera alors son long exil. Il s’inscrira à la faculté de médecine de Paris et obtiendra son titre de docteur en 1970 qu’il complètera par un doctorat en linguistique en 1975. Les premières années de l’étudiant seront terribles et « pour apprivoiser le froid et la faim qui souvent l’étourdissaient, il prenait refuge à la bibliothèque Sainte-Geneviève où il dévorait Balzac, Chateaubriand, Cervantès, Stendhal, Proust, Kafka, Dostoïevski ». Jean Métellus sera passionné par les mystères du cerveau et se spécialisera dans les troubles du langage comme l’aphasie. Neurologue à Saint-Joseph, à la Pitié-Salpêtrière puis à l’hôpital Emile-Roux de Limeil-Brévannes, il se forgera une solide réputation de neurolinguiste qui dépassera même les frontières de notre pays. Toujours lève-tôt, Métellus écrira chaque matin, avant de partir à l’hôpital, dans un état « de somnambulisme ». Ses premiers poèmes seront publiés en 1969 dans la revue Les Lettres nouvelles de Maurice Nadeau et Les Temps modernes de J.-P. Sartre. « Je n’étais pas absolument conscient de ce que je faisais. Après, j’ai continué parce que je ne pouvais plus m’arrêter ». En 1978, Maurice Nadeau publiera son premier recueil Au pipirite chantant, le pipirite, premier oiseau qui à l’aube se met à chanter. On retrouvera, est-il dit, ce Pipirite chantant sur la table de chevet Malraux à l’heure de sa mort.

Ce recueil s’ouvre par une course du poète pour retrouver « l’horizon maternel du matin » et les mots avec lesquels il pourra chanter sa terre haïtienne. « Rires et larmes d’un enfant noir », « Pour un écolier haïtien » mettront en scène la condition de son peuple, misérable, le don de soi des mères et seront suivis par La mort en Haïti. Mais c’est dans le long poème qui donnera son titre au recueil que Métellus décrira avec une puissance extraordinaire la présence de son île, tour à tour magnifiée et honnie pour les malheurs que doivent subir ses enfants. Il y ressuscite aussi sa propre enfance pour se faire le porte-parole de la culture haïtienne à laquelle il souhaite une aube nouvelle afin de chasser la nuit et l’anxiété. La dernière partie du recueil à l’écriture plus mesurée cependant, dénonce à nouveau la misère et explore les limites du langage poétique... Mais Métellus ne voit que pillage et désolation et son chant décrit une dernière fois, malgré son découragement, son amour de son île qui laisse la place au dieu Ogoun, celui des combats et à la guerre.
Métellus s’adresse dans ce recueil avant tout au lecteur français et s’y déploient mythes et forces de la nature. Les plantes y parlent ainsi que la Terre ou le soleil et dans le souvenir de la Traite, il évoque les dieux et l’état pitoyable de son île. Il forge une langue neuve, fiévreuse, au rythme changeant servie par une extraordinaire maîtrise du verset.

Métellus nous raconte ailleurs les vertus de la poésie. Quand il écrivait La main et autres poèmes, il souffrait d’un mal qui paralysait petit à petit sa main : « J’aurais pu consulter des docteurs qui m’auraient prescrit des antalgiques sans effet et des antidépresseurs inutiles. Tout cela aurait fini par une psychanalyse. J’ai décidé de la pratiquer moi-même en composant ce poème. Quand j’ai terminé le recueil, je ne souffrais plus ». Métellus écrira treize recueils de poèmes, une dizaine de romans, des essais, du théâtre et recevra une dizaine de prix littéraires dont en 2006, le Prix Léopold Sédar Senghor et celui de la Francophonie de l’Académie française en 2010.

Chaque roman de Jean Métellus, et cela ne vous surprendra pas, est un hymne à la terre haïtienne. Dans un article paru dans L'Humanité en 1990, Charles Haroche écrit que « dès les premiers chapitres de ses ouvrages, on ressent une impression d’angoisse parce qu’il faut pénétrer l’inconnu, avancer dans l’épaisseur de la tragédie d’un peuple vaillant, dans une masse d’images et de personnages réels ou imaginaires, tous historiques malgré tout et dont il faut démêler l'écheveau des relations et des sentiments dans un mouvement tourbillonnaire d’une saga insulaire. » Mais, après s’être familiarisé avec l’atmosphère si particulière, on plonge dans un véritable délice même si tout semble une éternelle répétition de l’histoire tragique de ce peuple trahi pas ses dirigeants et les maléfiques puissances étrangères.

Jean Métellus a aussi consacré une étude précise à son île Haïti une nation pathétique, promue au rang d’ouvrage de référence. Haïti est toujours restée au cœur de son inspiration malgré l’exil et qui mieux qu’un Haïtien pouvait parler de l’exil, fléau de notre temps. « Dans Louis Vortex j’ai montré les problèmes qui sont ceux de la plupart des exilés haïtiens, obligés à leur arrivée en France de faire des petits boulots (...) La situation de l’exilé est forcément difficile car on n’a pas le choix, sauf s’il s’agit d’un exil économique ou doré. C’est une situation que personne n’envie... »

Et pour finir cette introduction, ces quelques lignes de Françoise Naudillon publiées à Montréal au lendemain de la disparition de Jean Métellus

« Si Jean se taisait, c’est qu’il pensait. Une pensée mangrove, une pensée univers, une pensée monde. Une pensée du langage dans sa dimension artistique : roman, poésie, théâtre ; une visée du langage dans sa dimension fonctionnelle : autisme, bégaiement, aphasie. Un tel homme sait comme nul autre le poids des mots parlés, le poids des mots écrits, celui des mots noirs sur la page blanche, les mots proférés, les mots priés, les mots contés, les mots récités, les mots expulsés, les mots rêvés, les mots chantés, les mots étouffés... »

Biographie, non exhaustive
- Les recueils poétiques de Jean Métellus sont dispersés mais sur le Net, tapez « Pipirite chantant » pour que cette poésie s’offre à vous.
- Les romans sont publiés principalement chez Gallimard ; certains dans la collection l’Imaginaire et d’autres chez l’éditeur


 

「讓.梅特呂斯是十足的碩學鴻儒,對充溢在他作品裡的淵博思想我並不以為奇。他關注黑人的命運,但更關注全人類。稍後,我在巴黎的 Ouessant 和他相遇…… 我常讀他的作品,廣博、優雅,是對黃昏天際的不住的探索。」─ 海地詩人羅德尼.聖埃盧瓦 (Rodney Saint-Eloi)

今年1月4日,讓.梅特呂斯以77歲高齡與世長辭。這位諳熟「流亡生活」(Nazim Hikmet 語) 的人出生於海地的雅克梅勒 (Jacmel),是十五個孩子中的長兄。他身材高大,從父親那裡學會了揉麵和早起。在雅克梅勒的 Pinchinat 中學畢業後,他留在故鄉當了兩年的數學和自然科學教師。

然而,獨裁者弗朗索瓦.迪瓦利耶 (François Duvalier) 的黑暗統治已露端倪。作為青年教師及工會負責人的他感受到了威脅:「再過一天,我就成了階下囚。我的許多朋友死去。作為代課教師,當時在海地是這樣稱呼的,我可以旅遊及繼續深造。」1959年,為逃避獨裁政府,他袋裡揣着七十五元來到了巴黎,開始了他漫長的流亡生活。他報讀了巴黎醫學院,並於1970年獲得醫學博士學位,更於1975年獲得語言學博士學位。大學生活的最初幾年是十分艱苦的。「寒冷和饑餓常使他頭暈眼花,為戰勝它,他便躲進聖熱納維耶芙圖書館裡,貪婪地讀着巴爾札克、夏多布里昂、塞萬提斯、司湯達、普魯斯特、卡夫卡及陀斯妥耶夫斯基的作品。」讓.梅特呂斯熱衷於對神秘的人類大腦的探索,並專門研究如失語症這類語言混亂症狀。他先後在聖約瑟夫 (Saint-Joseph) 的 la Pitié-Salpêtrière 醫院及利邁伊.勃勒瓦納 (Limeil-Brévannes) 的 Emile-Roux 醫院擔任神經科醫生。他神經語言醫生的聲譽甚至越過邊界,遠播海外。他總是雞鳴即起,每天早晨,在去醫院工作之前,「睡眼惺忪」地寫作。他最早的詩歌於1969年發表在莫里斯.納多 (Maurice Nadeau) 主持的《新文學》(Les Lettres nouvelles) 及薩特的《現代》(Les Temps modernes) 雜誌上。「我並不十分意識到我所做的一切。但我繼續寫作,再也停不下來。」1978年莫里斯.納多出版了他的第一部詩集《獻給唱歌的比比利特》(Au pipirite chantant)。比比利特,這是晨光熹微時,第一隻唱歌的小鳥。據說,在馬爾羅 (Malraux) 臨終的床頭上,就擺着他的這本詩集。

這部詩集以詩人的探尋之路開篇,他尋找「故國的黎明」(l’horizon maternel du matin),尋找歌頌故國海地的美麗詩句。《黑孩子的笑與淚》(Rires et larmes d’un enfant noir),《獻給海地的一個小學生》(Pour un écolier haïtien) 描寫了人民的悲慘生活,母親的自我犧牲。接着是題作《海地之死》(La mort en Haïti) 的 一首詩。在給這本詩集命名的一首長詩裡,梅特呂斯以強勁有力的筆觸描寫了海地的現狀,時而頌揚,時而羞辱,揭示了孩子遭受的不幸。他亦回憶起自己的童年,探討海地文化,冀盼新的黎明的到來,驅走黑夜與不安。詩集的最後一部份文筆較節制,再次揭露了貧困,並探討詩歌語言的極限…… 然而,梅特呂斯看到的只是掠奪和荒蕪,雖然他有些氣餒,但卻最後一次用詩歌謳歌了他心愛的祖國,這個將命運交付給戰神 Ogoun 的島國。
這本詩集針對的首先是法國讀者,書中展現了自然的神奇和魅力。草木樹林,大地和太陽都在傾訴。而在販賣黑奴的追憶裡,詩人呼喚眾神,並展示了海地的悲慘狀況。他詩藝嫻熟、游刃有餘,在這個基礎上,他鑄造了一種嶄新的、激烈的、節奏不斷變化的語言。

梅特呂斯還談了詩的功用。在他寫作《手和其他詩歌》時,正受一種病痛的折磨,痛苦漸漸地令他的手麻木了:「我本可以求醫,醫生會給我開一些毫無效果的鎮痛劑和抗抑鬱藥。但一切由一次心理分析而結束。我決定通過寫作這首詩來完成這場心理分析。當詩集完成後,我的痛苦也隨之煙消雲散。」梅特呂斯一共發表了十三本詩集,十幾部小說,一些散文隨筆和戲劇,榮獲十幾個文學獎,其中2006年榮膺桑戈爾獎及2010年法蘭西學院法語文學獎。

讓.梅特呂斯的每部小說都是對祖國海地的讚歌。沙爾.阿羅斯 (Charles Haroche) 1990年在《人道報》發表的一篇文章裡這樣寫道「閱讀他的小說,從最初幾章開始,便感到一種不安,因為要深入茫然的未來,要沉浸在那英雄的人民深重的苦難中,要面對那現實或想像,但都是富歷史真實感的眾多人物,以及要在這部小島傳說的激烈旋渦中梳理出如一團亂麻的複雜的人物關係和感情糾葛。」但只要熟悉了這種特殊氣氛,便可沉醉在真正的閱讀樂趣中,儘管展現在眼前的是一個不斷重複的遭本國獨裁者和外國邪惡勢力出賣的人民的悲慘故事。

讓.梅特呂斯亦從事有關海地這個島嶼的專門研究,他的著作《海地,一個悲愴的民族》(Haïti une nation pathétique) 已成了一種參考書。海地一直是他創作靈感的重要源泉,即便身處異鄉,過着流亡生活。而又有誰能比一個海地人更有資格談論流亡生活呢?「在 Louis Vortex 一文裡,我指出了大部份海地流亡者的問題,他們一到法國便做一些卑微的粗活…… 流亡者的處境是十分困難的,因為他別無選擇,除非是為謀財和鍍金而來。這是一個令人望而生畏的處境……」
最後,讓我們以弗朗索瓦絲.諾迪翁 (Françoise Naudillon) 在讓.梅特呂斯辭世的第二天,在蒙特利爾發表的一篇文章裡的幾句話來結束本文:
「如果讓.梅特呂斯緘默無言,那是他在思考。思考祖國、思考世界、思考天地萬物。他從藝術角度思考語言:小說、詩歌、戲劇;他從功能角度思考語言:自閉症、口吃、失語症。他是一個比任何人都更懂得語言份量的人:口語、書面語、白紙上的黑字、高聲、祈求、敘述、背誦、驅逐、夢幻、歌頌、壓抑等各種語言。」

Le Temps des Cerises.
« La peur du sommeil m’hypnotise... »
La peur du sommeil m’hypnotise
Les roses de mes naissances frissonnent
Et, telles des grues fascinées par la sagesse des espaces
Les vertus nourrissent en moi d’étranges paysages
Apaisent les plaies de mes péchés
Et dardent sur mon angoisse leurs lointaines sensations
O Dieux ! La rumeur du passé
Vient frôler les ailes de mes élans
Comment chasser les hiérarchies des coutumes
Comment bannir le bombardement de la folie
Toute cette gratelle de mots
Et les récréments des remords
Avec la flèche de mes désirs
Je veux enfiévrer les aubes timides
Avec un verbe juste chargé de sève et de foi
Je veux empourprer les mots insomniaques
Et sauver quelques grandes espérances
Le ruban de l’espoir coiffe tous mes reposoirs
(poème inédit offert en 2002 par l’auteur aux lecteurs du site Île en île)