Poésie 詩詞

Texte : Bernard Pokojski

 
  Jean de La Ville de Mir mont, voyageur inassouvi
讓.德拉維爾.德米爾蒙:永不滿足的旅人
 
 

Et puis, voici
L’Ile Saint-Louis
La plus tranquille
La plus déserte de toutes les îles,
Sans Robinson, sans Vendredi,
Vaisseau manqué, jamais parti
Vers les Antilles !
      (L’Horizon chimérique, Jean de La Ville de Mirmont)


 Dessin de Jean-Louis Forain, chroniqueur-illustrateur de
guerre (1914-1919)

« Je me souviens d’un détail : les pages de l’exemplaire défraîchi n’avaient pas été coupées. (L’Horizon chimérique suivi des Dimanches de Jean Dézert et Contes ; Grasset 1929). Il s’agissait par conséquent d’un invendu. Mais moi, je le pris aussitôt comme une lettre cachetée qui m’aurait été adressée longtemps avant ma naissance et qui me parvenait, selon les méandres du Styx, au jour, au lieu et à l’heure décidés par avance, de toute éternité !... »

Voilà ce qu’écrivait en août 1992 Michel Suffran dans la préface des Œuvres complètes de Jean de La Ville de Mirmont, parues aux Editions Champ Vallon dans leur collection Dix-Neuvième. Jean de La Ville de Mirmont enseveli dans cette librairie comme il le fut le 28 novembre 1914 à cinq heures du soir, en Champagne, poète rare de ce long XIXe siècle qui finissait dans la barbarie pour accoucher d’un siècle encore plus brutal... Il naquit le 2 décembre 1886 dans une famille de la grande bourgeoisie bordelaise. Père latiniste éminent qui intimidera l’enfant plus lié à sa mère dont la tendresse l’accompagnera toute sa brève vie.

Une photo d’ailleurs nous les montre appuyés tendrement l’un contre l’autre, lui, angelot joufflu, elle dans un sourire tout de discrétion. Le jeune homme laissera ensuite le souvenir d’un être discret à l’extrême, austère mais aimable, aimant la conversation, curieux et érudit. Il se plaira à trouver dans de minimes incidents une source de réflexions et donnera de lui-même l’image d’un dilettante attentif aux détails. Il arpentait aussi les quais de Bordeaux mais affecté d’une myopie, il ne pouvait que regarder glisser au bout du monde les steamers

Je suis né dans un port et depuis mon enfance
J’ai vu passer par là bien des pays divers
Attentif à la brise et toujours en partance
Mon cœur n’a jamais pris le chemin de la mer...

Ce ne sera donc pas l’Abyssinie, mais à 22 ans, la capitale où il rencontrera François Mauriac, autre bordelais qui fut son voisin sur les bancs de la Faculté des Lettres sans que cependant ils ne se soient guère parlé. A Paris, ils déambuleront ensemble dans les rues jusqu’à des trois heures du matin, causeront auprès du feu de leurs projets insensés et enthousiasmes ridicules pour reprendre les mots de Mauriac... Hélas ! Ainsi vont les choses, leur amité ne durera en fait que de 1909 à 1910 : Jean de La Ville fut reçu aux examens de la préfecture de la Seine et quitta le logis bas qu’il occupait rue du Bac pour s’installer sur l’île Saint-Louis, réalisant enfin son rêve d’île. Un rez-de-chaussée d’où « ce doux » qui vivait avec un singe jeta une fois par la fenêtre sa maîtresse, mais Mauriac avoua plus tard qu’il avait peut-être rêvé le tout. Jean de La Ville allait donc passer son temps à l’assistance aux vieillards dont « la seule distraction est la migraine ». De ces longues journées, il nous donnera son unique roman, publié à compte d’auteur, Les dimanches de Jean Dézert, aussi triste que du Emmanuel Bove... Un rond de cuir distrait sa solitude dominicale, « salle d’attente pour voyageurs de troisième classe », en répondant aux prospectus glânés dans la rue. On le verra se faire masser par des aveugles aux Piscines d’Orient, avoir les cheveux coupés pour 50 centimes au Lavatory rationnel, goûter la « nutto-crème d’arachide » dans un bistro déjà bio, et assister religieusement à « une conférence gratuite sur l’hygiène sexuelle, agrémentée d’auditions musicales ». Notre héros connaîtra aussi une très brève idylle devant le bassin des otaries du Jardin des Plantes avec une jeune fille dont le père travaille aux pompes funèbres... L’échec de cet amour le conduira au suicide, un dimanche, afin de ne pas affecter sa vie professionnelle, mais là encore la tentative fit long feu... Le livre n’eut évidemment aucun succès, arrivé trop tôt sans doute, car il évoque les accents d’un Samuel Beckett ou d’un Albert Camus. Jean de La Ville ne s’en étonna nullement, écrivant à son père « la notoriété s’acquiert par des procédés dont je me sens incapable. On lance un livre de la même manière qu’on a lancé les pastilles Géraudel ou le cacao Bensdorp. Je manque des qualités nécessaires. » Jean Dézert cependant n’arrêtera jamais de flâner une dernière fois sur les grands boulevards, où il y avait tant de choses à voir, mais nous étions déjà dans la funeste année 1914. Jean de La Ville était libre, réformé quelques années plus tôt. Il aurait pu rester et attendre que tout finisse, mais était-ce le devoir, le goût de la bataille, l’enthousiasme général, la volupté ? Toujours est-il qu’il s’employa à courir les bureaux, les conseils de révision et que sa tenacité paya, si l’on peut dire.
Cette fois, mon cœur, c’est le grand voyage,
Nous ne savons pas quand nous reviendrons.
Serons-nous plus fiers, plus fous ou plus sages ?
Qu’importe, mon cœur, puisque nous partons !

Derniers vers retrouvés par sa mère sur sa table de travail. Cette mère qui allait rassembler les poèmes de son fils que nous connaissons sous le titre d’Horizon chimérique, « coquillage où gronde un océan » pour reprendre Mauriac et qui malgré leur fragilité allaient le sauver de l’oubli. Ce frêle recueil contient de fort belles pièces, faites de lyrisme et d’ironie et s’apparente par certains points à Baudelaire et à Laforgue. Jean de La Ville y décline son attirance pour les ports aux senteurs marines et exotiques et nous transporte dans le balancement des coques de navire, l’emmêlement des cordages. Tout cela est dit dans une langue élégante très expressive rythmée et pleine de couleur. On y voit percer son sourire sceptique qui dévoile sa mélancolie et un certain désenchantement.

Mais toujours l’appel à la vie ainsi que « l’invitation au voyage » même si Jean de La Ville n’ira pas plus loin que l’île Saint-Louis où « les mœurs de ses indigènes n’offrent rien de particulier (et où) on n’a pas le souvenir qu’ils aient jamais adoré le soleil ni torturé de missionnaires protestants. Pourtant, comme les autres îles, l’île Saint-Louis forme un tout, séparé du reste du monde. C’est un pays dont, lorsqu’on a le temps, on peut faire le tour en roulant une cigarette (...) ». Il a déjà été dit que Jean de La Ville montra un enthousiasme particulier à se faire engager dans la Grande Guerre sans doute pour répondre à l’ennui de son travail et son geste peut se lire sans aucun doute comme un suicide. Gabriel Fauré mettra en musique des poèmes de L’Horizon chimérique et Julien Clerc chantera « Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse... »

Michel Suffran écrira cependant qu’il persiste autour de Jean de La Ville de Mirmont un irritant mystère comme pour Lautréamont dont nous ne possédons qu’une photo bien qu’ici il y ait abondance de portraits, d’anecdotes tendres, de
« petits riens » révélateurs... Mais « le portrait décisif se refuse obstinément » et « il reste ce vertige, cette attirance du trou noir (...), comme au milieu d’un sou démonétisé ».

Laissons donc le mystère et écoutons le poète
Un peu plus tard, un peu plus tôt,
Puisqu’il faut en passer par là,
Vous mettrez sur mon écriteau :
« Encore un fou qui s’en alla »
      (Epitaphe)

Vaisseaux des ports, steamers à l’ancre, j’ai compris
Le cri plaintif de vos sirènes dans les rades
Sur votre proue et dans mes yeux il est écrit
Que l’ennui restera notre vieux camarade
Vous le porterez loin sous de plus beaux soleils
Et vous le bercerez de l’équateur au pôle.
Il sera près de moi, toujours. Dès mon réveil,
Je sentirai peser sa main sur mon épaule
Assis à votre bord, éternel passager,
Il se réfléchira sur les mers transparentes,
Dans le déroulement d’une fumée errante,
Parmi les pavillons et les oiseaux légers,
L’ennui, seul confident de nos âmes parentes.

 

之後,這便是
聖.路易島
是所有島嶼中最荒涼
最安靜的。
沒有魯濱遜,沒有星期五
沒有船隻,從不開往
安得列斯!
      (讓.德拉維爾.德米爾蒙:《夢幻的天際》)

「我記得一個細節:那發黃的書書頁尚未切開,書名是《夢幻的天際以及若望.德塞爾的星期天及其他故事》,Grasset出版社1929年出版。這是一本滯銷的書,但我卻即刻把它買了下來。這彷彿是一封在我出世前便寄給我的蓋了封印的信,它宛如冥河斯堤克斯,經過九曲十八彎,亙古以來,就決定在某日、某地、某個時辰寄到我手上!……」

這便是米歇爾.敘弗朗 (Michel Suffran) 於1992年8月為讓.德拉維爾.德米爾蒙的作品全集寫的序言裡的一段話,全集由 Champ Vallon 出版社收入其第十九期叢書中出版。讓.德拉維爾.德米爾蒙被湮沒在書店裡,無人問津,正如他1914年11月28日傍晚五時在香檳省與世長辭。他是一位十九世紀稀有的詩人。十九世紀在野蠻中結束,催生一個更野蠻的世紀。他於1886年12月2日誕生於波爾多一個富有的資產階級家庭裡。父親是一位傑出的拉丁語學者,他讓孩子生畏,使孩子更親近母親,慈母的溫柔陪伴他短暫的一生。

在一張相片裡,可看到母子倆親切地依偎在一起,他是一個胖乎乎的小天使,而她卻含蓄地微笑。這位年輕人後來這樣回憶道:母親是一個謹小慎微的人,嚴肅卻和藹可親,她喜歡交談,好奇且博學多才。他喜歡對一些微不足道的事情作思考,為自己塑造了一個心思縝密的文學愛好者的形象。他也愛在波爾多的碼頭散步,但深度的近視,使他只能模糊

看到天邊游弋的汽船。
我出生在海港,童年伊始
我看到不同國籍的船從這裡經過
我注意着風向,隨時準備啟航
但我的心從未奔向海洋……

這不是在阿比西尼亞,而是在首都巴黎,二十二歲的他遇見另一個波爾多人弗朗索瓦.莫里亞克 (François Mauriac),這是他過去文學院課室裡的鄰座同學,但他們幾乎沒有說過話。在巴黎,他們一起在街頭散步,直至凌晨三時;在壁爐旁暢談他們瘋狂的計劃,用莫里亞克的話說,充滿激情而又可笑。唉!日子就這樣一天天過去,他們的友誼自1909年至1910年,僅維持了一年。事緣在塞納省的考試中他被錄取了,離開了他居住的渡船街 (rue du Bac) 的矮房,搬到了聖.路易島,圓了他的住島夢。這個住在底層的「溫和的人」和一隻猴子為伴,一天竟把他的情婦從窗口扔出去。但莫里亞克後來卻說,這一切可能只是他的夢境。讓.德拉維爾把時間用到救濟老年人的工作上,這些老人「唯一的消遣是偏頭痛」。在這些漫長的日子裡,他為我們寫下並自費出版了他唯一的一本小說《若望.德塞爾的星期天》,其憂傷可與埃馬紐埃爾.博韋 (Emmanuel Bove) 相埒。小說是這樣描寫若望.德塞爾的:一個圓皮墊助他星期天消愁破悶,「三等旅客的候車室」,他回答着路上撿來的宣傳單張上的問題。人們看到他在「東方泳池」(Piscines d’Orient) 叫盲人替他按摩,在公共盥洗室 (Lavatory rationnel) 花五十生丁理髮,在一家已經有天然食品出售的酒吧品嚐「花生奶油」(Nutto crème d’arachide),虔誠地參加「一個有音樂助興的有關性愛衛生的講座」。小說的主人公還經歷了一段發生在植物園的海獅池旁的非常短暫的愛情,他愛上了一個父親在殯儀館工作的女孩…… 這個戀愛失敗了,他想自殺,為不至影響工作,他選擇了一個星期天,但這嘗試也失敗了。《若望.德塞爾的星期天》這本小說顯然撤底失敗,也許它問世得太早了,又或者因為箇中有薩米埃爾.貝克特 (Samuel Beckett) 或阿爾貝.卡繆 (Albert Camus) 的影子。讓.德拉維爾一點都不感到驚奇,他寫信給父親說:「成名需要手段而我又拙於此道。推銷一本書其手法就像推銷 Géraudel 糖片或 Bensdorp 可可茶一樣。我缺乏這方面的才能。」然而若望.德塞爾從未停止最後一次在巴黎的大街上閒逛,這裡有太多的東西看了。我們不覺來到了不祥的1914年。讓.德拉維爾幾年前已經復員,自由自在。他本可停下來,等待一切結束。但他是否為責任感、對戰爭的偏愛、激情和快感所驅使?竟跑遍了有關部門、徵兵體格檢查委員會要求入伍,他的堅韌終於得到回報。

此番,我的心肝,是一次遠遊,
我們不知道何時歸來。
我們會變得更驕傲,更瘋狂又或者更明智?
這有甚麼關係,我的心肝,既然我們已奔赴沙場!

這是他母親在他的書桌上發現的最後幾行詩句。她收集了孩子的全部詩作結集出版,這便是今天我們看到的詩集《夢幻的天際》。莫里亞克說這是「一個迴響着大海呼嘯的貝殼」。雖然詩歌數量不多,但足以使他免遭世人遺忘。這本單薄的詩集不乏優美的詩句,既抒情又充滿譏刺,在某些方面屬波德萊爾和拉弗格的風格。讓.德拉維爾在他的詩中展現了他對散發着海洋氣息和異國情調的海港的迷戀,把我們帶到顛簸的船身和糾纏不清的纜繩中。所有這些都由一種極富節奏感、充滿色彩、極富表現力的優雅語言表達出來。我們從中可看到他充滿懷疑神色的微笑,流露出他的憂傷和某種醒悟。

雖然讓.德拉維爾最遠只到了聖.路易島,但生命的呼喚和「旅遊的誘惑」始終在驅策着他。「聖.路易島島民的習俗沒有甚麼特殊的地方,我們記不起他們曾熱愛陽光又或者從未折磨過新教的傳教士。然而如同其他島嶼,聖.路易島自成一體,與外界隔絕。它是這樣的一個地方,如果你有時間,可以一邊捲着煙,一邊繞它走一圈……」我們上文已提到讓.德拉維爾熱衷於上戰場,這大概為逃避工作上的煩惱,這個舉動無疑是一種自殺。加布里埃爾.福萊 (Gabriel Fauré) 將他的《夢幻的天際》裡的詩歌譜成曲,茱利安.克萊爾 (Julien Clerc) 唱道:「我登上了一艘跳舞的船……。」

米歇爾.敘弗朗寫道,誠如洛特雷亞蒙,讓.德拉維爾.德米爾蒙週圍亦縈繞着一層強烈的神秘色彩。洛特雷亞蒙只有一張照片,而他,雖然有許多照片,動人的故事,發人深省的「瑣事」,然而這「決定性的一張照片卻難於完成」,「一陣暈眩,為一個黑洞吸引而去…… 彷彿一枚停止流通的錢幣的中心」。

讓我們放下神秘,傾聽詩人的聲音:
遲一點也好,早一點也好
都要從那裡走一遭。
請你在我的墓碑上寫下:
「又一個瘋子離開了。」