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• Vivement la fin, (Vivement dimanche, Truffaut, 1983) |
• Persepolis, Marjane Satrapi 2007 |
• Le dahlia noir, Brian de Palma 2006, une vulnérabilité humaine |
• Juin 1994, ceci est une autre histoire, Ai Weiwei |
Truffaut raconte qu’à chaque fois qu’il revoit Une femme disparaît (1938), film qu’il connaît par cœur, il tente de regarder comment c’est fabriqué : peine perdue car il se laisse reprendre par les personnages et l’histoire. Car la force d’un récit bien mis en scène sait subjuguer et emporter dans son monde fictionnel (et ce n’est pas affaire de sujet). Un cinéaste qui ne résout pas une intrigue policière tel Bruno Dumont à la fin de P’tit Quinquin (2014) défie audacieusement les attentes du spectateur. Ne raconte-t-on pas souvent les mêmes histoires ?
Pourtant qu’ont en commun les films d’un Sokourov, d’un Manoel de Oliveira ou d’un Chabrol, qui adaptent Madame Bovary ? Mais la manière de raconter change tout.
En tout cas, comme le rappelle Jacques Aumont dans son essai Limites de la fiction (2014), « on n’est pas spectateur de fiction sans le savoir ». Le cinéaste, quant à lui, choisit plus ou moins d’exhiber ou de cacher la couture de la robe. Godard dès Une histoire d’eau (1958) pratique l’art impertinent de la digression. Un Luc Moullet dans Les contrebandières (1967) jongle en Diderot cinématographique avec les possibles narratifs. Truffaut sait aussi jouer avec les codes du récit : dans Jules et Jim (1961), une Maris Dubois à l’inénarrable coiffure débite à toute vitesse son récit en une mise en abîme du tourbillon de la vie... La modernité a mis à mal le mode traditionnel de narration. Quant à la postmodernité, elle recycle des récits. Les frères Cœn ravivent la flamme du western dans True Grit pour mieux finir sur une sépulture dont on s’éloigne. Où nous emmène en effet le cinéma à grand renfort de rebondissements, d’actions ?
Car tout cinéaste est un montreur d’ombres (Godard particulièrement dans Adieu au langage, 2014), ultime trace de personnages en voie de disparition. Un pas de plus et se lève le vent nostalgique de l’âge d’or du cinéma classique : l’ombre soudainement visible sur la tombe de la femme de John Wayne dans La charge héroïque (1949) ne constituait pas un événement majeur du film, le passage n’apportait rien au récit sinon un paradoxal memento mori. Pourtant cette apparition reste un moment mémorable. Car certains plans finissent par l’emporter sur les péripéties d’une intrigue. Le récit n’est-il pas au service de l’image ? Parfois la présence intense d’acteurs fait dévier le sens apparent des récits.
Le mode dominant de la fiction, le pseudo-réalisme, dicte ses conventions. Certains cinéastes dérogent à ces règles. Un Philippe Garrel tient au noir et blanc par engagement lyrique, qui affecte immanquablement ses récits dans une direction grave (même lorsqu’il met en scène une situation vaudevillesque dans La frontière de l’aube, 2008).
La parole de Ken Loach dans le livre Défier le récit des puissants (2014) s’inscrit en faux contre la « soumission » qui nous fait accepter l’idéologie véhiculée par les récits formatés d’Hollywood. Le détournement par Ai Weiwei du célèbre cliché américain de Marilyn au-dessus d’une bouche d’égoût – cas qui mériterait de figurer dans l’étude passionnante de Marc Gauchée, La robe de Marilyn, enquête sur une envolée mythique (2014) - suffirait à montrer cependant « l’extension » nécessaire « du domaine de la lutte », pour reprendre le vocabulaire d’un autre provocateur ; cette jupe soulevée au nez et à la barbe d’un célèbre censeur nous transporte en effet loin du cadre narratif d’origine.
Mais, sans verser dans la propagande, ne faut-il pas choisir son camp comme son histoire ? Dans Il était une fois en Amérique (1984) de Sergio Leone s’affrontent à la fin deux anciens amis et deux conceptions par delà les faits racontés. Le grand cinéma rétif à toute récupération par son ambiguïté nous invite à ne pas nous laisser embobiner par la fatalité d’un « There’s no alternative » moral, esthétique etc. A chacun son récit. Il nous incombe alors de rembobiner les films, de les revoir pour cautionner ou non leur version des faits.
Pourquoi raconter une ou des histoires, sinon pour faire diversion à cette autre « envolée mythique », qu’est la mort ? On pense à la fin de la femme dans Amour de Haneke. Mais nous reverrons plutôt celle, déroutante également, mais plus malicieuse de Aimer, boire et chanter (2014)... Le récit de l’enterrement du personnage principal (invisible du début à la fin, provocation narrative en soi !) qui clôt l’œuvre d’Alain Resnais nous laisse sur une photo surprenante. Le leitmotiv ironique d’une petite taupe qui sort la tête de la terre où elle semblait ensevelie esquisse-t-elle de façon souterraine et subversive une autre histoire, un autre discours ?
Si le cinéma, qui raconte parfois des histoires à dormir debout, nous communique un art du sursaut à la fois personnel et commun, tant mieux ! En route donc pour un hors-piste même s’il nous mènera parfois tout droit là où il ne faut pas (Les 39 marches de Hitchcock, 1935).
Vendredi 13 février à19h00
Séance en français
Médiathèque de l’Alliance Française
1/F, 52, Jordan Road, Kowloon
Entrée libre |
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