Art et Histoire 藝術與歷史

Texte: Frank Vigneron*

 
  Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence :
Peinture et théorie à la Cité interdite (5)
十七、十八世紀之間的中國:興盛不衰 : 紫禁城的繪畫及其理論
 
 

C’est donc, comme chez Wang Yuanqi avant lui et chez Wang Yu et Shen Zongqian plus tard, dans l’observation des alternances présentes dans la nature que le peintre doit trouver la source de son inspiration. Les principes yin (陰) et yang (陽), on s’en souvient, font partie de tout discours cosmogonique de la tradition chinoise, et c’est une forte idée d’alternance et de continuité qu’ils suggèrent, au-delà des différences profondes qui les caractérisent. L’idée d’accouplement et d’alternance fait souvent l’objet d’une taxonomie fort précise dans les traités de cette période. Outre les types de montagnes, d’arbres et de pierres qu’il faut employer, Tangdai insiste sur les contrastes qu’il faut établir entre ces éléments, comme par exemple appuyer tout mouvement de la composition par un mouvement contraire. On peut trouver un excellent exemple de ces méthodes dans le chapitre Collines et Vallées, où Tangdai se livre à un travail d’énumération des configurations possibles du paysage qui fait penser à certains traités de la dynastie Song. Voilà donc la totalité de ce chapitre fort poétique :

Collines et Vallées de Tangdai
Il y a des paysages pour manifester l’apparence du ciel et de la terre et pour contenir les activités artistiques des anciens sages. Puisqu’une montagne connote la quiétude, alors la peinture d’une montagne doit aussi être tranquille. En composant, il est important de se concentrer et d’être libre de tous soucis. Considérez de quelle position la montagne hôte [c’est-à-dire la montagne principale, n.d.t.] s’élève, comment elle doit être positionnée et comment elle s’entrelace (avec les autres éléments de la composition). D’abord formez une vision, puis commencez à peindre. Faites que les “dragons arrivant” de la montagne hôte ondulent et se referment. Les montagnes “invitées” doivent faire face (à la montagne hôte) d’une façon soumise. Distinguer entre les parties claires et les parties sombres, entre le devant et le derrière. Ce qui provient des deux côtés du pic central sont des veines subsidiaires du dragon. Celles qui sont hautes et raides doivent s’étendre latéralement sur la gauche et celles qui se resserrent sur la gauche doivent s’étendre sur la droite. Une rivière peut couler de l’endroit où deux montagnes se rejoignent. Sur le dessus des montagnes, il est approprié de mettre des groupes de végétations réunies. Même si les falaises sont naturellement abruptes, elles doivent rester stables. Les impressionnants arbres suspendus avec des lianes tombantes doivent former un angle avec les pentes. Autour des pieds de la montagne, il est nécessaire de placer de grands arbres et de vastes pins en groupes de trois ou cinq. Ils peuvent être courbés et s’étendre vers l’eau ou s’allonger tout droit vers le ciel. Les rives sableuses et les rivières s’entrecroisent entre les rochers. (Peignez) des ponts décrépis et des bateaux de pêcheurs en fonction de ce que la scène exige. Positionnez les villages avec des cheminées fumantes dans les endroits protégés du vent et où les souffles se réunissent. (Montrez) un pavillon isolé ou des pavillons de chaume ici et là, sur les berges ou le long des falaises rocheuses. Les « dragons arrivant » de la montagne hôte ne doivent pas être courbés plus que trois fois tandis que les montagnes invitées ne doivent être divisées que sur deux niveaux. Une cascade se précipite dans une gorge étroite. (Quand) le ventre de la montagne est vaste, il devrait y avoir des nuages et des brumes qui l’entourent. De temps à autre, permettez que l’on aperçoive une pagode ancienne et les toits de temples au dessus de la cime des arbres. Un pic solitaire doit être mince et faire face à la montagne hôte à travers la distance. En peignant des montagnes éloignées, si elles sont très loin, elles doivent avoir l’air d’être basses ; et quand elles sont proches, elles doivent avoir l’air d’être hautes, mais elles ne peuvent pas être plus hautes que la montagne hôte, sinon, l’élan du souffle sera endommagé. Employez un ou deux niveaux de montagnes distantes pour faire ressortir celles qui sont proches. De plus, il serait merveilleux que (leurs relations fassent en sorte qu’elles) paraissent montrer de l’affection les unes pour les autres. Le secret est de distinguer entre (les zones de) clair et de sombre pour les chaînes de montagnes, et pour les arbres, il faut qu’il y en ait de grands et de petits. Utilisez un placement irrégulier des racines d’arbres pour différencier les pentes proches des pentes éloignées. En ce qui concerne les brumes et brouillards, (peignez)-les vagues et flous, comme si on ne faisait que saisir leur image avant qu’ils ne disparaissent. (Dans la peinture de paysage), une composition n’est acceptable que si chaque brin d’herbe et chaque arbre a sa structure (respective). Ceux qui comprennent le profond mystère de tout ceci trouveront certainement les formes solides à l’intérieur du vide et le vide à l’intérieur des formes solides. Alors, les scènes des quatre saisons deviendront des créations de votre esprit et la magnificence des montagnes et des rivières apparaîtra vive devant nos yeux. Un étudiant doit pouvoir suivre les règles tout en les dépassant par la compréhension en esprit. Il sera ainsi près de saisir tout ceci. »

On a déjà dit que des textes sur la peinture qui ne soient pas simplement des notes jetées un peu hasard sont pratiquement introuvables entre la dynastie Song et cette période du milieu des Qing. Le retour à une forme plus organisée, en chapitres, s’accompagne aussi de ressemblances frappantes en ce qui concerne ces conseils sur la composition qui vont jusqu’à la description détaillée de ce qu’il faut peindre. Si l’on compare ce passage avec celui du traité de Guo Xi 郭熙 (c. 1020 – c. 1090), Hauts accomplissements des forêts et des sources (Linquan Gaozhi 林泉高致), on verra que ce genre de descriptions détaillées était aussi fort courant au 11e siècle. Le paragraphe suivant n’est qu’une partie d’un chapitre de ce traité, il n’est là que pour permettre une brève comparaison avec le texte de Tangdai :
« Dans le paysage, faites d’abord attention à la plus grande montagne, appelez-la le pic principal. Quand celui-ci est établi vous pouvez vous appliquer aux autres, qu’ils soient près ou lointain, petits ou grands. Nous l’appelons le pic principal parce que, de cette manière, il est souverain dans la scène entière. C’est comme la hiérarchie entre le seigneur et les ministres. Dans les scènes de rochers et d’arbres, faites d’abord attention au plus grand des pins, appelez-le le vénérable Ancien. Quand il est établi, vous pouvez vous consacrer aux autres éléments de la flore et aux plus petits rochers. Nous l’appelons le vénérable Ancien parce que, de cette manière, il se démarque de tous les autres objets de la montagne. C’est comme un noble gentilhomme parmi les moindres mortels. Il y a des montagnes couvertes de terre et des montagnes couvertes de rochers. Une montagne de terre est couverte de rochers, et les arbres s’élèvent hauts et émaciés. Une montagne rocheuse est couverte de terre, et les arbres s’élèvent épais et vigoureux. Il y a des arbres près des montagnes et des arbres près des rivières... »

On verra à quel point cette similarité a une importance capitale si l’on veut comprendre certains des développements de la pensée pendant le milieu des Qing, ce thème sera traité dans la conclusion générale de cette thèse.

* Frank Vigneron (Professeur, Fine Arts Department, The Chinese University of Hong Kong)

 


 Tangdai 唐岱 (1673-1752) et Shen Yuan 沈源 (actif début 18e siècle), Quarante cues du jardin de la clarté parfaite 《圓明園四十景》, feuille d’album, encre et couleurs sur soie,
daté 1744, 62,3 x 62,3 cm. Bibliothèque Nationale de France, Paris.

誠如他之前的王原祁及他之後的王昱和沈宗騫,唐岱亦透過對大千世界的陰陽昏曉、四季更迭的觀察汲取靈感。我們知道,陰陽說是中國宇宙觀的重要組成部份。他們除了各自的涇渭分明的獨特風格之外,都一致提出了天地萬物交替更迭、生生不息的思想。陰陽對立、交替更迭的思想在當時的畫論中常成了被條分縷析、精確描述的對象。除山巒、草木、坡石外,唐岱十分強調畫中各元素的對立關係。我們可在他的畫論《繪事發微》的《丘壑》篇中看到這種畫法的精彩例子。唐岱在文中將山水畫可能出現的地形外貌一一列舉了出來,令人聯想起宋代的一些畫論。以下便是這篇極富詩意的畫論的全文:
「畫之有山水也,發揮天地之形容,蘊藉聖賢之藝業。如山主靜,畫山亦要沉靜。立稿時須凝神澄慮,存想主山從何處起,布置穿插,先有成見,然後落筆。使主山來龍起伏有環抱,客山朝揖相隨。陰陽向背,俱各分明。主峰之傍起者為分龍之,右聳者左舒,左結者右伸。兩山相交處可出流泉,巒頂上宜攢簇窠叢。懸崖直壁,勢雖險峻而宜穩妥。矯樹垂藤,懸岥斜挂。山麓岥腳須置大樹長松,三之五之,或欹斜而探水,或聳直而凌雲。沙水穿插,洄石間。危橋漁艇,相景而作。村墟火,宜在藏風聚氣之所。孤亭草閣,水涯岩邊參差間出。主山來龍不過三折,客山迤里只用兩層。飛瀑向崗巒窄狹中陡落。山腹曠闊,須有雲繚繞。古塔殿脊,樹叢中微露一二。孤峰要瘦,遙瞻主山。畫遠山遠則低近則高,但不可越出主山,以損氣勢。用一層用兩層櫬靠近山,並以有情為妙。訣日,岑巒辨明晦,林木須高下。以樹根之參差,分岥腳之近遠。至於煙嵐雲靄,或有或無,總在隱沒之間寫照。一草一木各具結構,方成丘壑。知此中微奧者必要虛中求實,實裏用虛。然後四時之景由我心造,山川勝槩,宛然目前。學者能運用規矩之中,神明規矩之外,庶幾其得之矣。」

我們在前文中已經提到由宋代至清朝中葉,所見畫論都是一些隨興而發的言談,真正分章論述、組織嚴密的畫論幾乎難覓。讓我們來看一下另一部結構縝密、分章劃節的論著,它對繪畫佈局的論述,對繪畫對象的細緻入微的描述和《繪事發微》極其相似。這便是郭熙 (1020-1090) 的《林泉高致》。以下引文只是他畫論某篇裡的一小段,可供和唐岱的論述作一簡單的比較。我們看到條分縷析、精細描述的風格在十一世紀已然盛行:
「山水先理會大山,名為主峰。主峰已定,方作以次近者,遠者,小者,大者。以其一境主之於此,故曰生峰,如君至上下也。林石先理會一大松,名為宗老。宗老已定,方作以次雜窠、小卉、女蘿、碎石。以其一山表之於此,故曰宗老,如君子小人也。山有戴土,山有戴石。土山戴石,林木瘦聳;石山戴土,林木肥茂。木有在山,木有在水……」

這種雷同,對了解清朝中期繪畫思想發展的某些方面至關重要,關於這點,我們將在論文的總結篇裡再作探討。