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Si vous croisez sur votre route un être que vous n’avez jamais vu, qui ne suscite en vous nulle réminiscence, n’en doutez pas ! C’est lui. Lui, le poète clandestin. Un conseil cependant : faites semblant de ne pas l’avoir reconnu. Ce qu’il déteste le plus au monde, c’est d’être rappelé au souvenir de cette société qu’il abhorre et dont il s’est retranché comme un lépreux. (Edmond Dune)
Voilà donc notre poète clandestin que je me propose de vous faire découvrir et qui déclarait ailleurs « Je pourrais vivre aussi bien en Chine ou en Terre de feu sans me trouver dépaysé ! Toutefois je ne peux nier ni renier les racines qui m'attachent au pays où je vis. Seulement, je m’érige contre tout nationalisme d’où qu’il vienne. Mon ciel ne connaît pas de frontières. Il n’y flotte aucun drapeau... »
Il naquit en 1914 sous le nom d’Edmond Hermann à Athus en Belgique, d’une mère belge et d’un père luxembourgeois qu’il aura le malheur de perdre dès l’âge de deux ans, ceux-ci victimes de la tuberculose. Il fera sa scolarité dans un collège religieux d’Arlon et poursuivra des études d’agronomie à Louvain, Bruxelles et Nancy jusqu’en 1937, ayant entre temps opté pour la nationalité luxembourgeoise afin d’échapper aux armées de la couronne belge. Cette même année 1937, il traversera une crise existentielle qui le conduit au monastère Notre Dame de la Trappe à Soligny, en Normandie. Les quelques semaines qu’il y passera donneront naissance à son recueil poétique Révélations, publié en France aux éditions du Goéland en 1938. Désormais, il a trouvé sa voie, il sera poète et rien d’autre « Images de fumée, attentives images / Précieusement liées / Par les cordons brumeux des fidèles mémoires / Images invisibles / Sur l’écran nuageux / ... » ainsi commence ce recueil... Mais bizarrement, à cette même date, il s’engage sur un coup de tête dans la Légion étrangère, pour trois ans et la guerre venue lui en fera faire cinq. Il servira en Afrique du Nord et échangera des coups de feu avec les Alliés après leur débarquement en 1942 pour rejoindre ensuite la France libre quand la Légion se sera ralliée à celle-ci. En 1943 il sera blessé près de Bir Halima, recevra la croix de guerre 1939-1945 et enfin libéré de ses engagements, il gagne en décembre 1943 l’Angleterre. Il sera du débarquement en Normandie, des campagnes de Belgique et de Hollande et foulera le sol de l’Allemagne vaincue avant de rentrer au Luxembourg en 1945. Suite à cette longue expérience, il écrira dans un poème « Une austère saison règne sur mon esprit » qui suffit à nous suggérer le paysage dans lequel il devait vivre, mais comment sortir indemne d’une telle absence. Il se remet à écrire, « un ou deux poèmes par semaine », rythme dont il se plaindra et s'impatientera de ne trouver aucun éditeur pour son nouveau recueil L’usage du temps composé de poèmes écrits durant les années de guerre. Le recueil sortira au Luxembourg en 1946, « On arpente la vie, on chasse sur les murs / Les fantômes naissants de la fumée des pipes / Sergent sergent à quoi penses-tu ? » «Un chant de flûte des bas-fonds de la ville / Sur les fils barbelés love son arabesque. / La lune est belle sur les seins des mauresques » au moment même où il entre comme journaliste à Radio-Luxembourg afin d’assurer son quotidien.
Deux ans plus tard, paraît à Nice son recueil Corps élémentaires où l’on pourrait voir se dessiner son portrait, homme et poète, tous deux amants de la solitude, exigeants, un brin désabusés sans qu’ils versent cependant dans quelque acrimonie on misanthropie « Ni ange ni bête / Ici et maintenant / Le plaisir d’être / Sans espoir sans regret / Purement simplement / Parmi l’ordre des pierres / La confusion des arbres /
Une dizaine de recueils poétiques suivront, publiés la plupart à Basse-Yutz, en Moselle par l’infatigable Jean Vodaine qui aura su lui insuffler la confiance nécessaire face aux refus venant de Bruxelles ou de Paris, (l’innommable Gallimard). Dans la préface aux Œuvres complètes, on peut lire que Dune est l’auteur d’une
« œuvre écrite au quotidien. Multiforme. Même aux pires moment de la vie. » et qu’il est un « passeur qui, pour que trace se fasse, se donne (...) un projet de vie dans lequel la poésie, l’écriture donc, est définitivement le centre, et tout le reste la périphérie ».
Il sera aussi attiré par le théâtre et en 1957 sa pièce Les Taupes est montée au Vieux Colombier avec un certain succès par Marcel Lupovici et sa troupe. Mais étrangement, son expérience théâtrale en restera là et il faudra attendre 1966 pour que sa pièce Les Tigres soit jouée au Luxembourg. Dans la première pièce le monde se réduit à cinq acteurs et trois dans la deuxième. Les Taupes met en scène des soldats allemands ensevelis dans un magasin de vivres souterrain à Varsovie et Les Tigres des soldats japonais. Koto le déserteur revient chercher ses compagnons. A la fin de la pièce, il abat Foujiri qui avait déjà descendu Onaka parce que celui-ci avait refusé de rejoindre le monde et la civilisation.
« Tu es dangereux, ton exemple est dangereux. On ne peut rester un homme en demeurant seul ». Huis-clos quasi-sartriens où les hommes vivent des situations limites qui les amènent à affronter leur existence à mains nues.
Dune écrira exactement treize pièces appartenant au théâtre psychologique et naturaliste des années 50 mais traversées par l’absurde qui pose résolument cette question : « A quoi sert un homme ? » N’avait-il pas fait l’expérience de son siècle et de son insoutenable violence ?
En 1959, il revient à la poésie avec Rencontres du veilleur, édition de la Tour de feu, financée en partie par les articles écrits pour la revue Critique... « Et ce qui fut cendres fumeuses / Devient buisson ardent de fleurs / Et ce qui fut plomb et poison / Redevient l’air et la chanson / »
« Le poète rêve d’éterniser l’instant, de fixer la vie qui passe, mais le temps de pencher le nez sur la page et voilà que la vie à flots pressés l’a déjà dépassé (et) à force de plonger dans les flots, il finit bien par ramener quelques perles » écrira Lucien Kayser... En 1969, Edmond Dune décide de quitter sa femme et leurs quatre filles pour s’installer à Clausen où il vivra désormais seul. Il connaîtra les années 70 comme des années sombres : « Il me faut pénétrer coûte que coûte dans ce désert sans mirages ». Six livres cependant sortiront entre 1971 et 1974 à Luxembourg et ses Poèmes en prose verront le jour à Toronto. Il s’attellera à des formes nouvelles très différentes pour nous donner des poèmes « très curieux, très fous » mais qui resteront inédits... Suivront dix années de disette rompues en 1983 par le dernier livre publié de son vivant La roue et le moyeu « Je suis un sablier où même le vent soulève toujours les mêmes tempêtes ridicules à l’heure néfaste des mirages, où le même sable, toute agitation rassise, reforme toujours ses mêmes petits tas à l’enseigne de l’heure sans horloge. » Edmond Dune connaîtra des moments très durs, endetté, aigri, il remâchera son désespoir et sa rancœur malgré le soutien et l’amitié de quelques amis fidèles au nombre desquels José Ensch. Menacé d’expulsion, la maréchaussée exécutera l’arrêt de justice le 1er décembre 1987 et il s’éloignera de cette terre le 25 janvier 1988, poète plus que clandestin.
« Et dans ce bistrot Sa table de taverne que tant de compagnons de fortune ont partagée... Puis une à une les voix se sont tues, même celle de Zap son “bistrotier”... Ce soir-là, à bout de souffle, le pas hésitant, il quitta le dernier son fortin pour arpenter une fois encore son faubourg traînant difficilement une ombre que le brouillard déjà enveloppait... » (André Simoncini)
Edmond Dune enveloppé de brouillard, « faites semblant de ne pas l’avoir reconnu » si vous passez parmi les ombres de Luxembourg.
Ni vu ni connu
Ni vu ni connu
Je marche je respire
Tête de plumes
Pieds de racines
Ni vu ni connu
Je mange des chansons
Fantômes d’oiseau
Dans la cage solaire
Ni vu ni connu
Invisible trop clair
Dérobé trop obscur
Je viens je pars je n’y suis plus
(Corps élémentaires, 1948)
On frappe
Qui frappe ?
Un doigt de revenant sur le carreau du vent
Qui vient ?
L’enfant qui fut cet homme
Sur la page du cahier
La plume vole entre les mots
Parle d’air bleu parle d’oiseaux
Bondit de cime en cime
Se perd à l’horizon dans la fumée d’un train
Qui chante ?
La lavandière
Qui ne dit mot ?
L’homme qui part
L’homme qui fuit l’enfant qui vient
Dans l’herbe humide de rosée
L’homme qui marche sur la route
Sans se soucier de l’ombre de son enfance
Qui le suit pas à pas comme un chien trop fidèle
(Matière première, 1950) |
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• Photo d’Edmond Dune (à gauche) avec son éditeur Jean Vodaine
「如果你在路上和一個從未謀面的人擦肩而過,你腦海裡根本沒有對他的絲毫記憶,不必懷疑!這便是他,是他,隱姓埋名的詩人。但我要給你一個忠告:假裝認不出他來。在這個世界上他所最痛恨的,是被這個他深惡痛絕的社會所記起,這個他像一個麻瘋病人一樣意欲逃避的社會。」(埃德蒙.杜納)
這便是我要介紹你認識的詩人,他在某處這樣寫道:「我可以生活在中國或火地島,不會感到不自在!但我不會否認或拋棄我所生活的故鄉的根。我會奮起對抗一切民族主義。我的天空沒有國界,沒有任何旗幟飄揚……」
他於1914年出生於比利時的 Athus,取名埃德蒙.海爾曼 (Edmond Hermann)。母親是比利時人,父親為盧森堡人。在他兩歲時,父母因肺結核,不幸雙雙離他而去。他在阿爾隆 (Arlon) 的一家天主教中學讀書,後來先後在盧萬 (Louvain)、布魯塞爾、南錫攻讀農藝學,直至1937年。這期間,為逃避比利時王國的兵役,他加入了盧森堡國籍。1937年這年,他經歷了一場生存危機,促使他遠赴諾曼第Soligny的苦修會聖母修道院。在這裡渡過了幾星期後,他寫了一本題為《啟示》(Révélations) 的詩集,1938年由海鷗出版社 (Editions du Goéland) 在法國出版。從此,他找到了自己的道路,他立志做詩人,而非其他。奇怪的是這年,他心血來潮,加入了外籍軍團,為期三年,後因戰事爆發,變成五年。他在北非服役。1942年盟軍登陸後,便與之一起征戰沙場。外籍軍團歸附自由法國後,他亦成為其中一員。1943年,他在 Bir Halima 附近負傷,並榮膺1939-1945戰爭十字勳章,最後役滿復員。1943年12月,他來到英國。他從諾曼第,經由比利時農村、荷蘭,踏足戰敗國德國的土地,1945年回到了盧森堡。在這漫長的軍旅生涯之後,他在一首詩裡這樣寫道:「在我腦海中揮之不去的一段嚴酷的時日。」這句話足於讓我們窺見他內心的爭扎,他將如何從這個缺失中安然走出來呢。他埋頭寫作,「每星期一兩首詩」,但他不滿意這速度,又為找不到出版商出版他的新詩集《時代習俗》(L’usage du temps) 而焦躁不安。這本詩集收錄了他戰時所寫的一些詩,後於1946年在盧森堡出版。同一時期,他進入盧森堡電台當新聞記者以維持生計。
兩年之後,他的詩集《Corps élémentaire》在尼斯出版。從詩的字裡行間可窺見他作為人和詩人的形象,兩者都喜歡孤獨、苛求、有點醒悟,但卻有點乖戾和厭世的情緒。
接着十幾本詩集出版問世,大部份由不知疲倦的讓.沃丹納 (Jean Vodaine) 在摩澤爾 (Moselle) 的 Basse-Yutz 出版。在他面對來自布魯塞爾和巴黎的拒絕時,是讓.沃丹納鼓勵他並予他自信。在他的《作品全集》的前言裡,有這樣的評述,說杜納是一部「每天書寫、形式多樣、命途乖舛時寫成」的著作的作者。他是「一名擺渡者,為在青史留下雪泥鴻爪,制訂了終生計劃,其中以詩歌和寫作為重,其他則為從屬。」他亦為戲劇所吸引。1957年,他的劇作《鼴鼠》(Les Taupes) 由 Marcel Lupovici 領導的劇團於 Vieux Colombier 劇院演出,並獲得一定成就。但說來奇怪,他的戲劇創作嘎然在此停了下來,直到1966年才見他另一部戲《老虎》(Les Tigres) 在盧森堡上演。在前一部戲裡只有五個人物,後一部戲裡更只有三個。《鼴鼠》描寫埋葬在華沙一間地下食品店的德國士兵而《老虎》則描寫日本士兵。逃兵 Koto 回來尋找他的戰友。在戲劇的結尾,他殺死了 Foujiri。在這之前,Foujiri 因 Onaka 拒絕回歸文明世界而把他殺死。
「你很危險,你的榜樣很危險。作為一個人不可能孤身隻影。」處於一個接近薩特式的禁閉環境裡,人們生存條件有限,他們赤手空拳,爭扎求存。
杜納一共寫了十三部戲劇,屬五十年代的心理分析和自然主義戲劇。其中貫穿着一個荒謬的問題:「人活着有何用?」難道他未曾經歷二十世紀以及它不可忍受的暴力嗎?
1959年,他又回歸詩歌,由 La Tour de feu 出版社出版了他的詩集《守夜者的相會》(Rencontres de veilleur),出版費部份由他為雜誌《批判》(Critique) 撰稿所得的稿酬支付。
「詩人夢想將瞬間永恆,將流逝的生命固定住。但他埋首書寫的時候,浪花四濺的生活已把他淹沒。他奮力潛入浪濤中,最終亦帶回來了幾顆珍珠。」Lucien Kayser這樣寫道。1969年,埃德蒙.杜納決意離開妻子和四個女兒,卜居 Clausen,從此孤獨一人地生活。七十年代對他來說是陰暗和愁苦的。他說:「無論如何,我必須深入這沒有奇跡的荒漠。」1971至1974年,他在盧森堡出版了六本詩集。而他的《散文詩》(Poèmes en prose)則在多倫多出版。接下來的十年毫無所出,1983年終於發表了他生前最後一部作品《車輪與車轂》(La roue et le moyeu)。他這樣寫道:「我是一個沙漏,總是在奇跡出現的那不祥的一刻,掀起一些怪異的風暴,而在風暴平息之後,沙塵總是形成同樣的小沙堆。」埃德蒙.杜納渡過了艱難的、債台高築的、苦澀的日子,雖然有幾個忠心朋友如 José Ensch 的支持相助,但他心中充滿絕望和怨恨。他被威脅驅逐出境,1987年12月,警方執行了法庭的命令,1988年1月25日,他遠離我們而去,徹底地隱姓埋名了。
「在這家小酒吧裡,他的餐桌常坐滿偶然相遇的朋友…… 接着一個一個聲音靜了下來,酒吧老板也靜默無聲…… 這天晚上,他氣喘吁吁,步履蹣跚,最後一個離開了酒吧,再次踏上小鎮的馬路,拖着疲憊的、為霧氣籠罩的身影……」
如果你在盧森堡街上幢幢的人影中,遇上被霧氣籠罩的埃德蒙.杜納,請「假裝認不出他來」。 |
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