Poésie 詩詞

Par Bernard Pokojski

 
  Roger Kowalski, parmi les ombres
影子裡的詩人:羅歇.科瓦爾斯基
 
 

Il avait dormi cette nuit-là sur les genoux d’une froide statue de marbre et d’une grandeur qui l’avait surpris. Il erra. Dans ce visage sur lui penché il entreprit un voyage dont il ne reviendra pas de sitôt. (La Statue)

Tant de journées sur cette planète où les villes sont mortes, où la ronce graine entre les pavés, m’auront donc fait le visage d’un qui demeure toujours sur le point de s’éveiller, mais quelque chose le lui interdit ; il y a si longtemps (Mémoire)

Dans un texte écrit en 1984 pour la revue Grandes largeurs et repris dans les Poésies complètes de Roger Kowalski, l’inimitable Yves Martin donne rendez-vous à cette ombre étrange dans un bistrot parisien. Occasion unique de voir se lever doucement le voile sur un poète qui s’est éloigné de nous en 1975 sans s’être trop soucié de laisser des traces de son passage.
« Je commande un tango. J’entends le garçon réprobateur demander une bière grenadine. Partout la haine de la poésie (...) Roger Kowalski est là. Visible pour moi seul. Pas sûr. Nœud papillon (la légende), whisky spécialement ensoleillé aux sables du Rhône. On raconte qu’il sautait toutes les cases du Beaujolais sans en oublier une, qu’il descendait les collines de Lyon dans une luge hyper-équipée, neige, herbe, songe, lenteur maximale. Le jour n’est pas le jour, la nuit pas vraiment la nuit, l’aube peut-être, l’indéfinissable, la lisière (...) Il me fait signe, signe bref. Je le suis (...) Il me tourne le dos. Je m’approche. » Kowalski était donc né à Lyon, comme Yves Martin, père polonais et mère allemande.

Il fera de classiques études chez les Jésuites, suivra des cours d’art dramatique au Conservatoire, étudiera même le chant et les aléas de l’Histoire l’enverront faire son service militaire en Algérie. Quelque temps, il enseignera les Lettres, vendant ensuite des filés de coton avant de devenir régisseur d’immeubles. Nous étions en 1964, et Kowalski avait déjà fait une apparition dans le revue La licorne et le numéro 12 du Pont de l’Epée, fief du découvreur, poète lui-même, Guy Chambelland, en 1960. « Pendant quinze ans, je l’ai revu, à intervalles irréguliers, goûtant avec lui l’humour, la distance et, je pense une amitié comme souterraine dont le vous ne cédait qu’aux heures avancées de la nuit... »

L’année suivante Chambelland publiera son premier recueil Le Silenciaire
« Vois : j’ai posé sur le papier un point d’encre très noire ; ce feu sombre est l’eau même de la nuit ; un silence d’étoiles échevelées.

Il suffit de peu de choses, presque rien ; une syllable une consonne et je deviens tempête : un geste de l’arbre, et cent racines me lient ». Six autres recueils suivront mais déjà il nous donnait « une idée de Kowalski tout jeunot, aristocratique et familier, virevoltant entre colombes et ramiers si nombreux chez lui venus ruisselants, régénérés des féeries symbolistes » pour reprendre Yves Martin. Chaque poème campera un décor et son climat, tourné vers un passé fait de veille où il faut goûter longuement l’hiver, la neige, le gel et le lecteur devra suivre un vol d’oies sauvages qui le mènera comme dans les pas du Grand Meaulnes. Des mots d’autrefois feront cette poésie que viendront accompagner des archaïsmes. Phrases brèves, usage du point-virgule distilleront « des propositions aussi lumineuses que des proverbes » comme l’écrit Pierre Perrin. L’influence de Saint-John Perse est palpable à ses débuts et Yves Martin de dire que cette filiation aurait pu présenter à la longue le danger de figer sa poésie dans une sorte de cérémonial, rituel ou messe immuable. Kowalski passera alors à côté de toutes les recherches poétiques de son époque, accomplissant le langage plutôt que le brisant et fera fuir les analystes. Il créera une œuvre troublante et trompeuse par son apparence souvent limpide à qui pourrait l’aborder de façon distraite car l’ellipse chez lui est souvent la forme d’un désespoir. La mort rôde aussi, d’un bout à l’autre de l’œuvre et la réponse du poète face à cette menace sera une sorte de grandeur. Ses poèmes plus ramassés que des cailloux, légers, deviendront des prières récitées à voix basse dont l’altitude précèdera la chute. « Essaie de dormir, tu n’entreras pas de bon gré dans les cavernes où pourrit la sagesse ; le hasard un jour t’y conduira pourtant d’une ruineuse main ; ton âge répondra par un cri de dégoût. » Haut-poète, Kowalski n’est cependant pas hautain et chez lui les oiseaux, les insectes, les arbres sont vrais et à portée de main, ils vivent. Nous marchons souvent entre contes de fées, rêves éveillés, tendres et cruels, en des poèmes en prose proches de Nerval ou d’Aloysius Bertrand. François Montmaneix qui l’a bien connu à Lyon fait ce portrait de Kowalski, « vivant d’une stature peu commune. Une curieuse espèce d’oiseau de nuit à qui l'aube et le plein jour ne faisaient pas peur non plus. Dormant peu, connaissant tous les bons coins où, devant une enfilade de verres remplis (et vidés) (...) il tenait ses assises au milieu d’un incomparable amoncellement de revues et journaux littéraires, de livres en cours de lecture et soigneusement annotés, de véritables fagots de plusieurs pipes avec chacune son paquet de l’un de ces tabacs fins dont il était grand expert et fumeur assidu, de cendriers toujours débordant des cigarettes qui lui cramaient le cœur. »

Il restait cependant toujours aux aguets, à l’écoute d’un monde dont rien ne lui échappait et qui pouvait soudain faire jaillir les images d’un nouveau poème. L’accompagnaient des liasses de très beau papier sur lesquelles il notait alors ses rêveries, ses observations qui dans le secret de la nuit donneraient naissance à ses poèmes... Et aux premières lueurs du jour, il sortait de chez lui « prendre l’air » et déambuler vers de nouvelles découvertes, « hôte discret » ou « hobereau de la rêverie » dont l’œuvre « n’a pas eu sa chance », dixit Yves Martin

« Nul ici parmi les feux du serpent ; nul ni rien ; la porte est close. / Nulle retraite ; je ne sais nulle pierre creuse où vous cacher, vieux profils ; / Peut-être convient-il à grands cris de fuir ; »

Je sors, le mince recueil de Kowalski à la main. Ce que je quitte, est-ce un café ? Le trottoir n’est déjà plus tellement solide. Peut-être le grand départ ? Une répétition ? Je ressasse jusqu’à en avoir mal aux dents
« Je suis parti, mes os font un poids léger sur la neige. »

Yves Martin et Roger Kowalski ne s’étaient jamais rencontrés. Le 6 septembre 1975, Kowalski nous quittait, à l’âge de 41 ans des suites d’une opération cardiaque et sans doute emporté par ce whisky des sables du Rhône et ses tabacs fins...

La Timide
Qui frappe à la porte et j’attends ? C’est toujours ainsi que commence la nuit ; par quelques coups donnés au vantail et j’attends. Soyez en paix, ma fragile, soyez en paix car j’agonise il n’est plus temps. Un vent de Février gronde sur les terrasses et le nocturne parle doucement à l’oreille de la timide, à la bouche de la craintive, au sein de l’inquiète. Il parle et penche la tête comme un qui veut dormir.
Parages de la nuit
Nous vous écrivons d’un autre règne, nous vous mandons les nouvelles d’un vieil empire et d’un gibier qui s’attardait sous la lucarne.
A notre bouche un discours élevait les fastes auxquels nous étions l’étrangers ; un dieu s’irritait en nos vocables, un dieu criait
- nous étions au commencement, nous fûmes au futur -

 

這個夜晚,他在一個冰冷的大理石雕像的膝上睡着了。他神色茫然。這雕像的巨大令他感到吃驚。在俯視着他的臉上,他作了一次神遊,一時未能還神過來。〔《雕像》(La Statue)〕

在這個星球上,城市死亡,荊棘在馬路之間抽穗。在這個星球渡過的日日夜夜,為我呈現一個總是欲醒未醒的人的面容,這是很久以前的事了。-〔《回憶》(Mémoire)〕

在1984年發表於《Grandes largeurs》雜誌並重新收入《羅歇.科瓦爾斯基詩歌全集》的一篇文章裡,無與倫比的伊夫.馬丁(Yves Martin) 和這個奇異的影子相約於巴黎的一間咖啡館。這是悄悄地揭開籠罩在這位1975年離我們遠去的詩人的絕好機會,他不太在乎為世人留下甚麼足跡。

「我叫了一杯石榴果汁啤酒。我聽見牢騷 滿腹的侍者喊叫着要這杯啤酒。到處是對詩歌的怨恨…… 羅歇.科瓦爾斯基就在那。只我一人認出他。不太肯定。蝴蝶領結,羅訥河沙灘上特有的陽光下的威士忌。傳說他從不錯過品嚐各種口味的博若萊葡萄酒。他駕着設備齊全的雪撬從里昂的山丘緩緩而下,白雪、草叢、夢幻……。白天非白天,夜晚非夜晚,也許是黎明,難下定義,模糊不清…… 他向我微微點頭。我跟隨着他…… 他轉過身去。我走近他。」科瓦爾斯基和伊夫.馬丁一樣,出生於里昂,父親是波蘭人,母親為德國人。
他在耶穌會研習古典文學,於音樂學院攻讀戲劇後同時還研究歌曲。命運把他帶到阿爾及利亞服兵役。他曾執教鞭,教過一段時間的文學課。接着是販賣棉紗,從成為大廈管理人。我們來到了1964年,科瓦爾斯基已經在《獨角獸》雜誌 (La Licorne) 發表文章,而1960年,同為詩人的居伊.尚貝蘭 (Guy Chambelland) 在被喻為發現者的天地的雜誌《Pont de l’épée》第十二期上這樣寫道:「十五年來,我時不時見到他,和他一起品嚐幽默、暌違。我想這是一種隱密的友誼,直到深宵才能敞懷,無拘無束……」

翌年,尚貝蘭出版了他的第一部詩集《Le Silenciaire》。請看:我在紙上劃上濃濃的一個句號;這暗火是黑夜之水;是群星的寂靜。

只需要一點東西,甚至甚麼都不需要;一個音節、一個輔音,我即變成一場暴風雨:樹木的一動,我便被千百條樹根纏住。他接着發表了六部詩集。伊夫.馬丁說,他給了我們「一個年輕、高貴、親切的科瓦爾斯基思想,這思想在充滿他作品的濕淋淋的、為象徵的奇幻境界所催生的家鴿和野鴿之間迴轉。」每首詩描繪一個境界及其氣氛,轉向曩時的一個夜晚,漫漫的冬日、白雪、冰凍,讀者將隨着大雁南飛,沿着大摩爾納的足跡走去。回憶的字詞成就了詩歌,並漫溢出古老的況味。正如皮埃爾.佩蘭 (Pierre Perrin) 所言,簡短的句子,分號的運用,釀製出「和格言一樣清晰明亮的句子」。他早期的作品受聖瓊.佩斯 (Saint-John Perse) 的影響明顯可見。伊夫.馬丁說,這種相互關係久而久之,會有僵化的危險,令其詩歌成為一種禮儀式的或一層不變的彌撒曲。科瓦爾斯基探討了他時代的一切詩歌,他沒有打破、而是建立了自己的詩歌語言,並令評論家們退避三舍。對於隨意閱讀他作品的人,他創作了一種外表清澈,困擾、迷惑人的詩歌,簡略對他而言常是失望的一種形式。在他的作品中,自始至終都可見死亡的影子,面對這種威脅,他報以最大的勇氣。他的比石子更加輕巧的詩歌變成低聲重複的祈禱,昇騰而起,驟然墜下。「試着睡去,你不是心甘情願地進入那智慧在其中腐爛的洞穴;然而有一天,一隻顫抖的手將你帶入其中,你報以一聲厭惡的呼叫。」科瓦爾斯基雖然是一位傑出的詩人,然而並不高傲,在他的詩歌裡,活生生的鳥兒昆蟲,花草樹木隨處可見。我們閱讀着他接近奈瓦爾 (Nerval) 或 Aloysius Bertrand 的散文詩,彷彿漫步在童話世界裡,半睡半醒,是夢非夢,既溫馨又殘酷。

François Montmaneix 生活在里昂,非常熟悉科瓦爾斯基,他是這樣描寫他的:「他身材魁梧,生氣勃勃,是黑夜中一種奇異的鳥,黎明和白天都不會令其生畏。他睡得不多,熟悉各種好去處。在一列斟滿美酒的杯 (或空酒杯) 前,他端坐在那堆積如山的報刊雜誌和正在閱讀、佈滿他悉心旁註的書籍中。那一紮紮的煙斗,每個都配有名貴的煙草,他是煙草鑑賞家和不知疲倦的煙民。煙灰缸裡總是載着把他的心臟燒焦的香煙。」

他總是窺伺着週圍,傾聽着這個世界,一切都逃不過他的眼光。這世界啟發他剎那間創作出嶄新迷人的詩篇。他手邊常有一扎扎優質的紙張,他在上面寫下他的夢想、觀察,夜深人靜時,孕育出的新的詩篇…… 晨光熹微時分,他走出門外「呼吸新鮮空氣」,踽踽獨行,去作新的探索。伊夫.馬丁說他是「謹慎的客人」或「夢幻的鄉紳」,其作品卻「命途多舛」。

手上拿着一本薄薄的科瓦爾斯基的詩集,我走出了家門。我離開的,是一杯咖啡嗎?人行道不再如此結實。是出門遠行?是一場綵排嗎?我反覆重複着直到牙齒都痛起來。
「我走了,我的骸骨輕輕地壓在雪地上。」

伊夫.馬丁和羅歇.科瓦爾斯基從未謀面。1975年9月6日,在做完一次心臟手術後,科瓦爾斯基以41歲英年離我們而去,也許是羅訥河沙灘上的威士忌和那名貴的煙草奪去了他的生命……