|
« Une véritable poésie se dégage de ses livres, une fantaisie toujours inattendue, une liberté dans l’imagination. Elle a une espèce de modestie qui est aussi de l’orgueil, légitime, et qui fait qu’elle se met peu en avant mais, de plus en plus, je crois qu’elle sera reconnue à la place qu’elle mérite ». (Nathalie Sarraute)
Cette citation d’ouverture pour nous rassurer et ces vers de Béatrix Beck « Fais la peau à la poésie cette hérésie / Langue maquerelle dans le bordel de ma bouche / Les mots racolent sur le trottoir des lignes / Les mots les molosses me molestent / Les mots les molochs m’immolent / On m’arrache la langue maternelle. » Béatrix Beck sans doute presque oubliée mais dont le nom reste associé à Léon Morin, prêtre, n’avait en effet publié que quelques poèmes dans la revue Temps mêlés d’André Blavier en 1975 et un peu, ailleurs, dans diverses revues. Il faudra attendre 2013 pour que tout cela soit enfin réuni aux éditions du Chemin de fer sous le titre Entre le marteau et l’écume. Alors, Béatrix Beck poète ? Oui, sans aucun doute pour ceux qui sauront la lire. Mais d'abord essayons un peu de voir qui était cette dame qui nous a quittés sur la pointe des pieds dans la nuit du 29 au 30 novembre 2008. Elle est née « par erreur » en Suisse le 30 juillet 1914 d’un père wallon aux origines lettone et italienne, Christian Beck, ami d’André Gide et auteur de quelques livres rares eux aussi oubliés et d’une mère irlandaise fantasque. Elle sera ramenée en France à vingt et un jours et nous dit-elle, « comme tout le monde, assise entre deux chaises, la vie et la mort ».
A l’âge de deux ans, elle perdra son père, mort de phtysie galopante. « Souffrant, il demanda à ma mère de lui frictionner la poitrine. N’ayant pas de quoi acheter du baume, elle utilisa de l’alcool à brûler avant de lui dire : “C’est tout ce que je peux faire.” Alors, il lui répondit : “Idiote”. Puis il est mort. »
Béatrix Beck sera alors élevée par sa mère au fin fond de la campagne française, commencera à Grenoble des études de Droit pour devenir avocate bien que très tôt elle ait songé à l’écriture et se projetait en « écrivain unique », condition qu’elle savait des plus aléatoires. Elle voulait aussi défendre les mineurs et se rappelait qu’à 12 ans elle avait horriblement souffert quand Sacco et Vanzetti s’étaient retrouvés sur la chaise électrique, avouant qu’elle était communiste dès l’enfance. Engagée tout naturellement donc aux Jeunesses communistes, elle y rencontrera Naum Szapiro, apatride juif qu’elle épousera et qui lui donnera une fille. Mais, semble-t-il, l’Histoire ne fait que se répéter : mobilisé, Naum Szapiro tombera le 2 avril 1940 alors que sa mère s’était suicidée peu avant, ne pouvant supporter le bonheur de sa fille et invoquant la voix de Christian Beck qui l’appelait d’outre-tombe. Elle fera alors divers petits boulots afin de subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille, tout en étant toujours étrangère (elle ne sera française qu’en 1955 après maintes tribulations administratives...) La guerre finie, elle se rendra avec sa fille dans le Brabant wallon chez une tante qui possédait une petite ferme. Sans diplôme reconnu en Belgique, elle devint, entre autres, ouvrière dans une fabrique de puddings puis grâce à la vente de la correspondance entre son père et Gide, elle put se consacrer un an à l’écriture de Barny que publiera en 1948 Gallimard. Ce roman qui attirera l’attention d’André Gide, dont elle deviendra la secrétaire, sera suivi par un cycle autobiographique composé dans une écriture dite « blanche » à laquelle elle apporte cependant son don si particulier de l’ellipse, du merveilleux ainsi que l’acuité de son regard, tout cela dans une union audacieuse de l’humour et de la cruauté.
En 1952, elle obtient même le prix Goncourt pour Léon Morin, prêtre (porté à l’écran, où l’on voit Jean- Paul Belmondo porter délicieusement la soutane). Ce roman lui vaudra d’être serrée dans les bras de Claudel, heureux aux larmes qu’un prêtre soit montré comme quelqu’un de merveilleux... Mais bon... Elle avouera que cela lui fit gagner « du fric » et qu’elle avait pu s’acheter un appartement rue Bonaparte dans le même immeuble que Jean-Paul Sartre dont les Temps modernes publièrent des extraits de son second roman Une mort irrégulière... En 1968, Béatrix Beck entame ce qui sera, comme elle le dit, sa deuxième manière avec Cou coupé court toujours, toujours chez Gallimard. « Tu bandes camarade. Edmond se hâte vers la maison du bon Dieu. Cou coupé court toujours. Debout sur son camion plein de détritus l’éboueur porte au cou une médaille de l’Immacu Con. Bordel des familles. Pendant la guerre une locataire pour payer son blanchissage s’envoie en l’air à la guerre comme à la guerre avec le blanchisseur. Les autres loques aussi s’envolèrent sur place. Marché de la chose. Précipice pour m’y vider. » Et encore, « Tu as l’air d’une putain tois aussi eh bien quand même ça serait pourquoi pas regarde-moi ta raie le chat l’a faite y a pas de chat on te donnerait deux sous tant mieux tu me fais mal j’en ai marabout ils ne peuvent pas tenir par l’opération du Saint-Esprit je le dirai dis-le au pape tu trouves pas que ça fait con qu’on soit habillées pareil ça fait con mais ça fait chic tu nous crisses tu fais exprès de me faire mal Oui. Toujours il faut que tu nous fasses chier le dimanche. Tu me fais beaucoup de peine. » Le roman sera mal accueilli par le public et Gallimard commencera à voir d’un mauvais œil cette dame de plus en plus indigne : son roman suivant, L’épouvante et l’émerveillement essuiera un refus de publication chez Gallimard et sortira aux éditions du Sagittaire en 1977. Béatrix Beck s’était exilée dix ans dans diverses universités outre-atlantiques et effectuait là un retour étonnant en littérature. De 2 mois à 13 ans, Pamela, notre héroïne se raconte sous la plume de Béatrix Beck et les mots de l’enfant dessinent un monde tour à tour enchanté et cruel qui sont comme un apprentissage de l’autre, du langage, de la crainte ainsi que du plaisir.
« Le gommes dorment. Pour que les gommes dorment, il faut que je dise à Palmyre : “Les gommes dorment”. Elle répond : “Ah oui”. Ça y est. Les gommes dorment parce que je ne fais pas de bruit pour ne pas les réveiller. Je me traîne doucement sur une grande feuille de papier, je frotte, j’efface des gribouillages. Mais ça m’use. »
Les virus de l’écriture ne la quittera plus, imposant de livre en livre un ton nouveau dans l’art de faire bref. Ses mots joueront avec l’oralité et remueront en même temps l’esprit. Le ciel et le sexe se croiseront. La compassion et l’envie, l’altruisme et le renoncement trouveront sous sa plume une éclatante ardeur. L’humour ne sera pas non plus en reste chez cette ravaudeuse du langage, brodeuse de mots aux couleurs fraîches. Dans la Décharge roman cocasse où les perles de langage abondent, des thèmes tels que la marginalité, la méchanceté, la jalousie feront leur apparition dans des phrases poignantes baignées d’une grande poésie.
Béatrix Beck écrira après cela dix-huit livres, son dernier, La petite Italie, paraîtra en 2000, année où décède sa fille. Suivront huit années de silence... Son centenaire passera inaperçu sauf chez les éditions du Chemin de fer qui s’obstinent à s’intéresser à elle et nous ont offert Entre le marteau et l’écume. En 1997, dans un entretien recueilli par la revue Brèves :
« - Mots couverts c’est le seul et unique recueil de poèmes que je vous connaisse.
- Oui, j’ai par ailleurs un recueil dactylographié, qui n’est pas imprimé... Il le sera peut-être après qu’il me soit arrivé quoi que ce soit. »
A vrai dire, Béatrix Beck avait commencé à se livrer intensément à la poésie à la fin des années 60 jusqu’au début des années 80, faisant de la poésie une sorte de laboratoire au bouillonnement créatif entamé avec Cou coupé court toujours. Elle y explorait avec la passion qui la caractérisait ses nouveaux modes de narration et certains poèmes seront repris dans les récits brefs qu’elle affectionnera à la fin de sa vie. De ses poèmes sourd une irrépressible noirceur et ce laboratoire inventera une forme de poème dialogué. Les amateurs de poésie et de langage seront à la fête dans une œuvre qui reste à redécouvrir.
Signalons qu’une autre vieille dame de la poésie vient de s’éteindre, le 15 novembre dernier, Gisèle Prassinos, à l’âge de 95 ans, avec tout le silence qu’il se doit. Quelques pages dans Paroles pour ses 90 ans.
A pèle rat pèle chat pèle et vends Gilles chat pitre et pitre
Dans cet égout cette église jubé gibet j’y vais
Vingt culs vingt cœurs chats virés ont fait le plein des sens Décence
L’infirme hier m’a frappé Laide saignante m’a fait un clin deuil
Elle nous masse nous massacre nous mène à la what a mess
Le docteur palpe ma pulpe mon poulpe bat ma coulpe
Ma blatte éclate ma rate fait des petits j’ai les foies les foires
Camisole de force farce garce came isole Rats valent telle arme
Fou furieux monte aux cieux se jeter au cou sauter à la gorge de son Dieu
Coupe-gorge gorge chaude et rouge gorge
(extrait de Etablissement psychiatrique)
Autre fou
Ses pieds d’alouette le portent à peine
Il cache ses mains de gloire derrière son dos d’âne
Ses oreilles-de-souris lui font entendre plus qu’il ne faudrait
Sa gueule-de-loup ignore le français
Ses dents-de-lion refuse tout aliment
Sur la plage il demande : Est-ce la grève de la fin ?
Nul ne répond
Il pique une tête-pas la sienne-dans les flots les beaux les faux |
|
• En 1952, Béatrix Beck reçoit le prix Goncourt |
「從她的書中,流溢出真正的詩情畫意,總有一種出人意表的神奇,一種天馬行空的想像。她謙謙君子,亦不乏應有的高傲,她不願太露鋒芒,但我確信漸漸地,她將實至名歸,獲得她應有的地位。」- 娜塔麗.薩羅特 (Nathalie Sarraute)
貝婭特麗克絲.貝克無疑幾乎被人忘卻,但她的名字和《萊昂.莫蘭神甫》(Léon Morin, prêtre) 這本小說密不可分。1975年,她在安德烈.布拉維耶 (André Blavier) 主持的雜誌《混亂時代》(Temps mêlés) 及其他一些雜誌裡發表了一些詩作。直到2013年,鐵路出版社 (Chemin de fer) 方將她散見各處的詩歌收集起來,以《鐵錘和浮漚之間》(Entre le marteau et l’écume) 的書名結集出版。貝姬特麗克絲.貝克是詩人嗎?對懂得讀她詩歌的人當然是。現在,讓我們來看看這位於2008年11月29日至30日夜裡靜悄悄地離我們而去的女士究竟是何許人。她鬼使神差,於1914年7月30日「錯誤地」出生於瑞士。父親克里斯蒂安.貝克 (Christian Beck) 是有立匋宛和義大利血純的瑞士瓦隆人。他是安德烈.紀德的朋友,也寫過幾本被人遺忘的書。母親是脾氣古怪的愛爾蘭人。在她僅二十一天大的時候被帶到法國。她後來這樣說道:「像大家一樣,我們在生死之間爭扎求存。」
貝婭特麗克絲.貝克兩歲時,父親因得了奔馬癆離她而去,她後來這樣憶述道:「他痛苦難當,要母親替他擦擦胸口。由於沒錢買香油,母親只好用酒精替他擦。擦前她對父親說:『我能做的就這些了。』父親呵斥道:『白痴!』接著便死去。」
母親在法國偏遠的鄉村把她扶養成人。她在格勒諾布爾 (Grenoble) 攻讀法律課程,想成為一個律師。雖然她很早便夢想寫作,明知舞文弄墨前途茫茫,她卻立志成為一個「特立獨行的作家」。她為礦工的權益挺身而出,她回憶道,在十二歲時,便因 Sacco 和 Vanzetti 被判死刑坐電椅而感到十分痛苦。她不諱言從孩童時期起便成了一名共產黨人。順理成章,她加入了共產青年的組織,並邂逅了無國藉的猶太青年 Szapiro,後來下嫁給他,生了一個女兒。但天意弄人,Naum Szapiro 應徵入伍,並於1940年4月2日戰死沙場。而在這之前不久,母親因不能忍受女兒的幸福,並因思念亡夫,常聽到他從另一個世界呼喚她,最終自殺身亡。從此,為維持生計和養活稚女,她一直以外國人身份做各種小工雜活。直到1955年,歷盡重重行政手續,終於獲得法國籍,成為法國人。戰爭結束,她帶著女兒投奔在布拉班特.瓦隆 (Brabaut Wallon) 的嬸母,後者在當地擁有一座農場。在比利時,由於沒有任何被當局認可的學歷證明,她只得做些雜工,成了一家布丁作坊的女工。後來,全靠出賣父親和紀德的往來書信,才得以有一年時間專心寫作小說《巴尼》(Barney),該書於1948年由伽利瑪出版社出版。這小說引起了紀德的注意,並聘請她做自己的秘書。接著,她發表了自傳體的系列小說,以一種「留白」的風格寫成。箇中盡顯了她的省略,創作神奇的卓越才能和她的敏銳眼光。這一切是幽默和嚴酷的大膽結合。
1952年,她因《萊昂.莫蘭神甫》一書榮膺龔古爾文學獎(該書後被搬上銀幕,片中可見讓保羅.貝爾蒙多優雅地穿著教士長袍)。這部小說還令她獲得克洛岱爾 (Claudel) 的擁抱,克氏為神甫竟可被表現為一個神奇人物而感動得熱淚盈眶。她承認這個成就給她帶來了「阿堵物」,令她可在波拿巴特街,讓保羅.薩特住的同一幢大廈裡買下一間套房。薩特主持的《現代》雜誌 (Temps modernes) 還發表了她的第二部小說《非正常死亡》(Une mort irrégulière) 的節選。1968年,她的《斷頸仍在跑》(Cou coupé court toujours) 由伽利瑪出版,開始了她所謂的《第二種創作方式》。小說不為讀者受落,伽利瑪出版社也開始不看好這個越來越不稱職的女士,拒絕出版她的下一部小說《恐怖驚奇》(L’épouvante et l’émerveillement),該書後由人馬座出版社(Sagittaire) 於1977年出版。在旅居北美的十年間,她輾轉執教於各間大學,並在文學上作了一次驚人的華麗轉身。她創作了帕梅拉 (Pamela) 這個人物,在她的筆下,小說女主人公講述她由兩個月大到十二歲的童年故事;孩子以童言描述這個時而神奇時而殘酷的世界,她彷彿在模仿他人、學習語言、經受恐懼和感受快樂。
寫作的癖好一刻也不曾離開過她。她寫了一部又一部小說,在言簡意賅的風格裡,不斷注入新意。她的語言朗朗上口,又發人深思。天空和色情交織一起,同情與渴望,利他和遁世,在她的筆下被描繪得淋漓盡致。這位語言巧匠和清新詞彙的編織者亦不乏幽默感。在滑稽小說《辯白》 (Décharge) 裡,字字珠璣,充滿雋語妙句。社會邊緣、惡行劣跡、嫉妒懷恨等均以辛辣而又充滿詩意的語言表現出來。
這之後,她還寫了十八部小說,她的最後一本書《小義大利》(La petite Italie) 是於2000年發表的,這年她經受了喪女之痛。接著是八年的沉默,闃然無聲。她悄悄地度過了期頤,只有鐵路出版社對她感興趣,出版了她的《鐵錘和浮漚之間》。
從上世紀60年代末至80年代初,貝婭特麗克絲.貝克狂熱地投入詩歌創作,她以《斷頸仍在跑》為發軔,將詩歌創作變成一個充滿創意的試驗室。她嶄新的記敘述方式和一些詩歌,常出現在她晚年喜愛的短篇小說裡。從她的詩歌裡湧現出一絲不可壓抑的憂鬱。這個試驗室創作了對話體的詩歌形式。面對這座有待發掘的文學寶庫,詩歌和語言的愛好者們當心滿意足了。
順便提一提,另一位年高德劭的女士於去年11月15日離世,她叫吉賽爾.普拉西諾斯 (Gisèle Prassinos),以九十五歲高齡悄悄地離開了我們。在她九秩高齡之際,我曾在《東西譚》(Paroles) 寫過一篇短文介紹她。
|
|