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« Vous disposez d’un pouvoir magique très étendu. Je trouve aussi - et ne fais que vous le répéter- que vous devriez écrire et publier. Vous savez très bien que je pense que vous êtes un des esprits les plus curieux de ce temps (des quatre ou cinq) mais vous vous taisez à plaisir. » (André Breton à Claude Cahun, 1938)
Il y a, à vrai dire, chez Claude Cahun quelque chose de fascinant et d’énigmatique. Entrée à sa mort dans les oubliettes de l’histoire, elle s’est installée dans notre modernité quand en 1984 le philosophe François Leperlier a commencé à exhumer ses photos et ses textes et à nous offrir sa biographie. On découvrait alors une artiste hors normes qui avait créé une œuvre radicale, à la fois écrivain, photographe et traductrice. Et puis dès les années 20, elle avait déjà exploré dans ses photos des thèmes, désormais brûlants dans l’art contemporain : l’ambiguïté sexuelle, le travestissement et la quête d'identité...
Tout cela fait d’elle à présent une artiste à proprement inclassable. « Masculin ? Féminin ? Mais ça dépend des cas. Neutre est le seul genre qui me convienne toujours »...
Elle naîtra en 1894 de son vrai nom Lucy Schwob, nièce de Marcel Schwob, les Vies imaginaires, à Nantes, « comme tout le monde » pour reprendre Aragon qui pensait que « le vaste monde est né à Nantes ». Breton, lui, ira jusqu’ à dire que c’était « la ville surréaliste par excellence ». Cependant, l’affaire Dreyfus la marqua profondément et des agressions antisémites l’obligèrent à quitter son lycée en 1907 et 1908. Elle n’y reviendra que pour quelques cours en 1909, déjà possédée par la passion de l’écriture et ses premiers textes paraîtront dans le Phare de la Loire, propriété de son père. Ce dernier lui accordera en 1913 la rubrique de mode qu’illustrera Suzanne Malherbe, alias Marcel Moore, sa compagne de toute une vie. Claude Cahun signera ses chroniques de la simple lettre « M » et jouant de stratégies telles que le masque, l’humour, l’ironie ou le dédoublement de sens, parviendra à dépasser le cadre de la simple mode. Les articles d’autre part ne comportant aucune trace de sa véritable identité se plaisent à brouiller les genres à travers les mascarades et le travestissement. Le narrateur, quant à lui, malgré le « je » demeure ambigu : Claude Cahun réussissant à éviter les marques de genre, pronoms ou accords grammaticaux, se présente comme une figure moderne dont l’objectif serait de bouleverser l’image et la position de la femme dans la société. De façon détournée, elle encourage les femmes à adopter une apparence hors normes : suivre des modes inusitées ou ajouter à leur tenue des éléments propres aux hommes. « Non, Monsieur le perruquier, je fais fi de vos conseils et n'en veux agir qu’à ma tête. Je composerai moi-même mon visage avec de la farine et du charbon. »
Se mettait donc ici en place l’expérimentation d'états limites qui produiront cette œuvre déroutante quelquefois aux frontières de l’obscur. En 1914, le Mercure de France publiera son premier ouvrage de jeunesse Vues et visions sous le pseudonyme de Claude Courlis, petite suite, à vrai dire, de textes qui rappelaient comme elle l’avouera plus tard « ces hypocrites appels de courlis dans la nuit. »
En 1919, elle rencontre Philippe Soupault qui lui propose de collaborer à Littérature mais n’osera pas y donner suite et l’année suivante, elle commence les nouvelles de ce qui constituera son recueil Héroïnes. Les personnages féminins qu’elle mettra en scène seront là pour témoigner de la tension entre les identités masculine et féminine en les confrontant aux mythes traditionnels de la femme. Les genres seront brouillés, les rôles inversés ainsi que les savoirs traditionnellement appropriés aux hommes. Ses personnages auront quelque chose de monstrueux brisant les limites de l’ancien et du nouveau, œuvrant par là même à l’apparition d’une femme nouvelle modifiée pour qui toutes les voies seront possibles, jusqu’aux plus effrayantes. Dans ses photos, Claude Cahun fera surgir les masques, les déguisements, mettra à nu, sans artifice, son corps anguleux, se dédoublera, se démultipliera grâce à des miroirs ou à des photomontages. Elle posera tantôt en homme, à l’image de son père, crâne rasé, de profil, tantôt en poupée, yeux écarquillés, bouche en cœur. Et elle aura cette phrase : « Je ne crois qu’aux monstres que j’ai fabriqués moi-même.»
Elle sera en quelque sorte sa propre construction, jeu qui, à son époque, pouvait se révéler dangereux car l’homosexuelle était justement ce monstre. Elle pensait aussi que les yeux s’éduquent ainsi que le regard : « Je m’efforce de croire que l’image est mal au point, je resserre, je dilate, je tripote le diaphragme étonné de mes yeux » avait-elle écrit dans un texte sous-titré cauchemar.
Vivait-elle consciemment dans un cauchemar dont elle n’a jamais pu s’éveiller, au milieu des créatures inquiétantes que son appareil, ses jeux de miroir avaient fait naître ? Sans doute, car tel était en définitive son univers. En 1929, sortiront ses Aveux non avenus, qui forment sa part poétique. Dans leur préface, Pierre Mac Orlan dira « qu’il est difficile de présenter ces pages. La littérature, quand elle sert à se libérer échappe à peu près à toute critique. » Il souhaitera d’autre part que Claude Cahun qui « a hérité une inquiétude si riche (ne) s’en libère. » Pour lui, Claude Cahun, ajoutera-t-il, est « un écrivain errant. Elle progresse irrésistiblement dans la nuit, une nuit pleine de lumières auxquelles elle donne des noms d’hommes, des noms de plantes, des noms de coquillages ».
Aveux non avenus rassemble des aphorismes, des fragments de rêves impitoyables qui constituent, pourrait-on dire, comme une forme de résistance devant le narcissisme même de son auteur. Elle écrit avec une certaine volonté de tout dire prenant soin dans le même mouvement de tout recouvrir. Comme les masques, elle avoue ses secrets pour ensuite les mieux taire, cependant qu’entre les lignes, pour qui sait lire, on pourrait parfois déceler l’impression douloureuse d’une très jeune fille qui ne s’est pas encore aimée, victime de la violence du regard extérieur. Aveux non avenus sera son livre le plus abouti : tentative radicale proche de la démarche d’un Raymond Roussel, objet littéraire difficilement domesticable.
« Chaque fois qu’on invente une phrase, il serait prudent de la retourner pour voir si elle est bonne ».
Cependant, quand elle s’affiliera à « l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires », à partir de 1932, son écriture sera paradoxalement la moins automatique et son livre Les paris sont ouverts (1934, chez Corti) s’inscrira contre la propagande positiviste communiste. Elle entrera même dans le mouvement politique éphémère (1935-1936) Contre-attaque, lancé par Georges Bataille. C'est dire que durant ces années Claude Cahun s’était engagée dans le bouillonnement qui agitait le monde intellectuel. Elle participera à « l’Exposition surréaliste d’objets » en 1936, concevant des « objets à fonctionnement symbolique » et accompagnera André Breton à Londres à l’exposition internationale du surréalisme. Son activité photographique sera dans le même temps intense...
En mai 1938, elle s’installera à Jersey avec Suzanne à St Brelade’s Bay. L’île sera envahie par les nazis le 1er juillet 1940 et les deux comparses vont se livrer au jeu dangereux de contrer l'occupant nazi et sa propagande. Au cours de leurs promenades elles ramassent les cartons de cigarettes allemandes et se mettent à écrire sur ce support, sur les murs, les mots « Ohne Ende » (sans fin) en référence à la formule allemande « Schrecken ohne Ende, oder Ende mit Schrecken » (la terreur sans fin, ou en finir avec la terreur). Elles exécutent aussi des montages à partir de la revue nazie Signal qu’elles réintroduisent dans les magazines destinés à l’occupant allemand. Leur machine à écrire fonctionnera à plein régime :
5 000 à 6 000 tracts, déclarations, papillons collés sur les voitures de la gestapo avec pour signature « Le soldat sans nom » verront le jour. Mais en mars 1943, Claude Cahun subira un premier interrogatoire sans suite et c’est le 25 juillet 1944 qu’elles seront arrêtées par la gestapo et séquestrées, à la prison militaire. Leur maison perquisitionnée sera pillée et des photos disparaîtront définitivement.
Le 16 novembre tombera la condamnation à mort et bien qu’ayant refusé la demande en grâce, elles bénéficieront cependant d’un sursis en février 1945, n’échappant à une mort certaine qu’à la faveur de la capitulation allemande du 8 mai 1945... Dès juillet, Claude Cahun reprendra contact avec André Breton, toujours à l’abri à New York et ses amis d’avant-guerre. Elle réalisera encore quelques autoportraits et s’attachera à réunir des notes sur son activité de résistance, souhaitera renouer avec le milieu surréaliste et se rendra à Paris en 1953, du 3 au 20 juin envisageant un éventuel retour dans la capitale... Mais l’incarcération à Jersey l’avait profondément éprouvée et en 1954, sa santé se dégradera : troubles oculaires, pulmonaires, rénaux qui la conduiront à sa mort à l’hôpital de St Hélier, à Jersey le 8 décembre. Sur sa tombe Suzanne fera graver ces mots de l’Apocalypse de Jean : « And I saw new heavens and a new earth. »
Suzanne décèdera en 1972. Claude Cahun disparue, son œuvre allait connaître un long purgatoire alors qu’elle est l’incarnation même de l’esprit surréaliste.
Surveillez votre sommeil
Le musicien, le peintre sont les beaux fonctionnaires de l’absolu. Leur besogne faite, ils peuvent plier bagage. Evidemment par l’oreille et par l’œil ils sont en perpétuel travail. Mais ce n’est point assez que l’écrivain mette un bras dans la machine, il doit y passer tout entier. Si quelque chose en lui n’est pas disponible, un tel crapaud tachera le diamant que tout l’éclat du monde sera peine perdue. (Aveux non avenus, p203)
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「你擁有強大的神奇力量。同時我覺得你應該寫作和發表作品。你非常明白我的看法,我想你是這時代四五個最具探索精神的人之一,然而,你卻樂於保持沉默。」—(1938年,安德烈.布勒東致克洛德.卡安的信)
老實說,在克洛德.卡安身上有一種迷人的、高深莫測的東西。隨着她的離去,她已被人淡忘。所幸1984年,哲學家 François Leperdier 開始發掘她的攝影作品及留下的文字,為我們提供了她的傳記。這樣,她又在當代找到了一席地位。人們發覺她是一位非同凡響的藝術家,創作了極端的作品,她同時又是作家、攝影家和翻譯家。自上世紀二十年代始,她已經在攝影裡探討了在當代藝術裡極爲棘手的問題:性的曖昧、異性裝扮及身份的尋覓。
• Autoportrait, ver 1929
Epreuve gélatino-argentique, 11,7x9cm
Musée des Beaux-Arts de Nantes |
所有這些,令她至今成爲一個不可歸類的藝術家。「男性?女性?這得看情況。中性是永遠適合我的唯一性別……」她這樣自嘲道。她於1894年誕生,原名為 Lucy Schwob,是 Marcel Schwob 的侄女。借用阿拉貢的話說,她像大家一樣,在南特過着「想像的生活」。阿拉貢認為「廣闊的生活天地產於南特」。布勒東甚至說這是「傑出的超現實主義的城市」。然而,德雷福斯事件深刻地影響了她,反猶太主義迫使她於1907年和1908年離開中學。1909年她回學校上了幾堂課,這時,她已沉迷於寫作。她的最初文章發表在她父親主辦的《盧瓦爾燈塔》(le Phase de la Loire) 上。1913年,父親還給她一個時裝專欄,由 Suzanne Malherbe,又名 Marcel Moore 插畫,這是她的終身伴侶。克洛德.卡安在她的專欄文章上只簡單的簽上「M」這個字母,她玩弄一些伎倆如面具、幽默諷刺、或語打雙關,以致超越了簡單的時裝範圍
此外,文章沒洩露作者的真正身份,只以面具、異性裝扮來混淆性別為樂。敍述人雖以第一人稱寫作,身份卻撲朔迷離。克洛德.卡安成功地迴避了性別、人稱代詞或語法上的陰陽配合,以一個前衛者的形象出現,其目的在於攪亂婦女在社會中的形象和地位。她以迂迴的手法,鼓勵婦女接受稀奇古怪的外表,追隨標新立異的時裝或在其衣服上點綴些男性的因素。「不,髮型師閣下,我對你的忠告嗤之以鼻,我走我的路。我用麵粉和木炭化妝我的臉。」這是一場極端的實驗,產生出這個令人震驚的、有時跡近晦澀的作品。1914年,「法蘭西信使」(le Mercure de France) 刊登了她年輕時以筆名 Claude Courtis 發表的第一部作品《景象和意象》(Vues et visions)。其實,這是她一些令人回想起「深夜杓鷸叫聲」的文章的續篇,她後來也承認了這點。
1919年,她遇見了菲利普.蘇波 (Philippe Soupault),他建議她參加《文學》雜誌的工作,但她不敢應承。翌年,她開始寫些中、短篇小說,即後來結集出版的小說集《巾幗英雄》(Héroïnes)。她在小說中創造這些女性,目的是透過和傳統的有關女性的神話相對照,展現兩性身份的緊張關係。性別混淆、角色顛倒,有關男性的傳統知識模糊不清。她的人物荒誕不經,打破了古今的界線,創作出一種嶄新的女性。在她的筆下,這些女性有各種道路可走,甚至是最驚險的道路。在她的攝影作品裡,出現了面具、喬裝打扮,她毫無遮掩地展示自己瘦骨嶙峋的胴體,借助鏡子或合成攝影將自己一分為二或分裂成幾個。她有時按照父親的形象,剃光頭,側着面扮男人;有時睜大眼睛,把嘴畫成心形,扮洋娃娃。她說:「我只相信我親手製作的怪物。」
她在某种程度上可說成了自己創作的怪物。在那時代,這個遊戲顯得危險,因為同性戀在當時正被視為怪物。她認為眼睛和眼神都可以被訓練:「我相信形象並不完美,我收縮、張大眼睛,我摸弄受驚的眼膜。」她在一篇題作《惡夢》的文章裏這樣寫道。
她是否有意識地生活在她用儀器、自己的眼睛創造的令人不安的造物中間,沉睡在惡夢裡永遠不能甦醒?這或許是,總之,這是她的天地。1929年,她發表了《無效的供詞》(Aveux non avenus),這是她詩人的一面。Pierre Marc Orlan 在該書的前言裡這樣寫道:「很難將這本書介紹給大家。當文學以解放自己為己任時,幾乎可避開任何批評。」另一方面,他希望「深陷不安的克洛德.卡安能從中解脫。」他補說道:「克洛得.卡安是一位遊蕩作家,她在深夜裡不可阻擋的前行。這是一個充滿燈火的夜,她為每盞燈賦予了各種名字,人名、植物名、貝殼類動物名。」
《無效的供詞》收集了格言警句、惡夢的片斷,這可說是對作者戀己癖的一種對消形式。她決心和盤托出,同時又細心隱藏,彷彿那面具,既吐露真情,有緘口不言。但對於心明眼亮的讀者,字裡行間,有時可窺見一個痛苦的年輕女孩的形象,她被衆人怒目而視,從來未曾被愛過。《無效的供詞》是她最成功的一本書,寫作的極端手段接近 Raymond Roussel,這是一部桀驁不馴的文學作品。
「每作一句,必須謹慎地反覆推敲。」她這樣說道,然而,自1932年起,當她參加了「作家和藝術家協會」後,她的文筆便一反常態少了自動寫作的風格,並發表了反對共產主義宣傳的《結局未定》(Les paris sont ouverts, 1934年由 Corti 出版社出版)。她還參加了由喬治.巴塔耶 (Georges Bataille) 發起的「反擊」(Contre-attaque) 這個短暫的政治運動。也就是說,在這幾年裡,她捲入了震蕩知識界的一場混戰。1936年,她還參加了「超現實主義物體展覽」,構思一些「具象徵功能的物體」,並陪同安德烈.布勒東赴倫敦參加國際超現實主義展覽。同時,她的攝影活動也十分繁忙。
1938年5月,她和Suzanne一起在澤西島 (Jersey) 的 St. Brelade’s Bay 安置下來。1940年7月1日,納粹德國佔領了該島,於是兩個小人物玩起了反對納粹佔領和他們的宣傳的遊戲。她們在散步途中,撿起了德國的香煙盒,在盒子上、在牆壁上寫下「Ohne Ende」(無止境)這個和德文「Schrecken ohne Ende, oder Endemit Schrecken」(無止境的恐怖,或結束恐怖) 相關的字。她們還將納粹出版的雜誌《Signal》做了剪接,塞入供德國佔領者閱讀的雜誌裡,她們的打字機開足馬力:五、六千份的宣傳單張、宣言、紙片黏貼在蓋世太保的汽車上,單張上簽上「無名戰士」的字樣。1943年,克洛德.卡安遭到第一次審問,1944年7月25日她們遭蓋世太保逮捕,並被關進了監獄。納粹抄了她們的住所,沒收了所有照片。
11月16日,她們被判死刑,雖然她們態度堅決,拒絕求饒,但1945年2月卻獲得緩刑,直到1945年8月5日德軍投降,她們才免於一死。由7月開始,克洛德.卡安和一直避居紐約的布勒東和其他朋友重新取得聯繫。她完成了幾幅自畫像,並竭力將有關他參加抵抗運動的文字收集起來,期望和超現實主義者們恢複聯繫。1953年她來到巴黎,從6月3日到20日期間,她考慮如何回到首都居住…… 然而在澤西島的鐵窗生涯使她深受磨難,1954年,她的健康嚴重惡化,眼睛、肺和腎臟都出了問題,最終於12月8日病逝於澤西島的 St. Hélier 醫院。在她的墓碑上,Suzanne 請人刻下了使徒約翰在《啟示錄》(Apocalypse) 所寫的「我又看見一個新天新地」。
Suzanne 於1972年逝世。克洛德.卡安離開了這個世界。她的作品將長期受到考驗,她是超現實主義的化身。 |
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