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En mars, Hong Kong accueillera I’écrivain algérien Boualem Sansal, l’auteur du très célèbre 2084, La fin du monde, grand prix du roman de l’académie française en 2015, et du prix de la francophonie qui avait d’ailleurs déclaré à cette occasion lors de d’une rencontre à L’Alliance française de Paris : « Je suis un champion de la francophonie dans un pays qui refuse la francophonie. »
Boualem Sansal né en 1949, ne se consacrait pourtant pas à la littérature à ses débuts. Diplômé de l’École nationale polytechnique d’Alger et docteur d’économie, il a été enseignant, chef d’entreprise et haut fonctionnaire au ministère de l’Industrie algérien mais il fut limogé en 2003 pour ses prises de position critiques contre le pouvoir en place particulièrement contre l’arabisation de l’enseignement.
Il commence alors à écrire en 1997, alors que la guerre civile bat son plein. Il cherche à entrer dans l’esprit de ses compatriotes, pour tenter de comprendre puis d’expliquer ce qui a mené à l’impasse politique, sociale et économique de son pays, et à la montée de l’islamisme. En 1999, il publie son premier roman, Le Serment des barbares, qui reçoit le prix du premier roman et le prix Tropiques et connait un très grand succès de librairie.
Par la suite plusieurs de ses livres seront censurés dans son pays (Poste restante, Alger ; Le village de l’Allemand). Menacé et insulté, il décidera cependant de rester en Algérie. Il critique ouvertement la corruption à tous les niveaux de l’industrie et de la politique, l’incapacité à gérer le chaos qui a suivi l’indépendance, et attaque parfois violemment les islamistes.
En 2005, s’inspirant de son histoire personnelle, il écrit Harraga, (Harraga qui signifie « brûleur de route », surnom que l’on donne à ceux qui partent d’Algérie, souvent en radeau dans des conditions dramatiques, pour tenter de passer en Espagne). Pour la première fois, les personnages principaux sont deux femmes : Lamia, médecin pédiatre qui vit dans la misère à Alger, et Cherifa qu’elle recueille alors que cette dernière est enceinte de cinq mois. Encore une fois, le ton est très critique envers le pouvoir algérien : l’argent du pétrole coule à flots, mais, l’argent étant accaparé par une minorité de dirigeants, le peuple est dans la misère et les jeunes vont tenter leur chance ailleurs, pendant que ceux qui ne peuvent pas partir restent dans la misère et la peur.
En 2007, il reçoit le prix Édouard-Glissant, destiné à honorer une œuvre artistique marquante de notre temps selon les valeurs poétiques et politiques du philosophe et écrivain Édouard Glissant : ce prix récompense les œuvres développant une réflexion sur le métissage et toutes les formes d’émancipation, celle des imaginaires, des langues et des cultures. En 2011, il revient par la littérature sur les lieux de son enfance et publie un nouveau roman, Rue Darwin, l’histoire d’une famille prise dans la guerre d’Algérie. C’est un livre très personnel, écrit trois mois après la mort de sa mère. Le personnage de Yaz ressemble beaucoup à Boualem Sansal ; par ailleurs, la rue Darwin est une rue où l’auteur a vécu dans son enfance, à cent mètres de la maison d’Albert Camus.
Boualem Sansal est également connu pour ses propos critiques envers toute forme de religion, et l’islam en particulier : « La religion me paraît très dangereuse par son côté brutal, totalitaire. L’islam est devenu une loi terrifiante, qui n’édicte que des interdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plus violents. Il faudrait qu’il retrouve sa spiritualité, sa force première. Il faut libérer, décoloniser, socialiser l’islam. » Ecrivain engagé à l’échelle mondiale, il a aussi lancé en 2012 avec l’écrivain israélien David Grossman à Strasbourg, « L’appel de Strasbourg pour la paix » dans lequel près de 200 écrivains venant de cinq continents se sont déclarés prêts à s’engager pour faire progresser la paix et la démocratie partout dans le monde.
2084, La fin du monde, une foisonnante fable orwellienne
Il obtient en 2015 le Grand prix du roman de l’Académie française pour son roman 2084, La fin du monde publié chez Gallimard. Ce roman de science-fiction crée un monde fondé sur l’amnésie et la soumission à un dieu unique, « une foisonnante fable orwellienne sur fond de dictature islamiste » titrait l’Express. Inspiré en effet de 1984 d’Orwell : « Abistan, immense empire, tire son nom du prophète Abi, « délégué » de Yölah sur terre. Son système est fondé sur l’amnésie et la soumission au dieu unique. Toute pensée personnelle est bannie, un système de surveillance omniprésent permet de connaître les idées et les actes déviants. Officiellement, le peuple unanime vit dans le bonheur de la foi sans questions. Le personnage central, Ati, met en doute les certitudes imposées. Il se lance dans une enquête sur l’existence d’un peuple de renégats, qui vit dans des ghettos, sans le recours de la religion...
Boualem Sansal s’est imposé comme une des voix majeures de la littérature contemporaine. Au fil d’un récit débridé, plein d’innocence goguenarde, d’inventions cocasses ou inquiétantes, il s’inscrit dans la filiation d’Orwell pour brocarder les dérives et l’hypocrisie du radicalisme religieux qui menacent les démocraties.
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