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Interrogé par Michel Wieviorka, sociologue et Président de la FMSH (Fondation Maison des Sciences de l’Homme) le philosophe et sociologue Edgar Morin livre ses souvenirs et son analyse de Mai 68.
Michel Wiewiorka : Aujourd’hui, en 2018, parler de Mai 68, c’est évoquer des temps fort éloignés. Ce qui reste pour vous de plus vivant est de quelle nature : n’est-ce pas le côté imaginaire, culturel, le côté subjectivité du mouvement ?
Edgar Morin : Ce qui reste vivant, ce sont d’abord des souvenirs très forts. Des présences dans cette Sorbonne occupée, transformée. La première semaine de Mai 68 fut pour moi admirable. La tétanisation de l’État faisait que tout le monde se parlait dans la rue. Les cabinets de psychanalystes se vidaient brusquement, tous les gens qui souffraient de maux d’estomac allaient mieux, etc. Dès que tout est redevenu normal, tout cela est revenu.
Cette première semaine, c’est un peu comme dans mon adolescence en juin 1936, où tout le monde se parlait. J’ai des souvenirs merveilleux de cette Sorbonne en fête, de la réalisation d’un événement impossible. Des souvenirs de cette guerre civile sans mort, sauf à Flins (une manifestation d’étudiants venus soutenir les grévistes de l’usine Renault au cours de laquelle un adolescent de 17 ans est mort, noyé), de ce jeu sérieux où l’on jouait à la révolution mais sans risquer les morts en dépit de la violence des affrontements. Donc pas d’amertume [...]
M. W. : Au début, c’est un mouvement étudiant, un mouvement de la jeunesse, ce n’est pas un mouvement ouvrier. Ensuite seulement, et plutôt à contrecœur, cela devient une mobilisation syndicale. Aviez-vous des discussions sur le prolétariat, la classe ouvrière, le mouvement ouvrier ?
E. M. : J’ai montré dans mes articles qu’à la différence d’autres pays où le mouvement est resté strictement étudiant, il a débordé sur une partie de la jeunesse ouvrière et lycéenne. Surtout, la durée et l’intensité du mouvement ont fini par déclencher les syndicats au début réticents et qui se sont finalement rués dans cette brèche pour arracher au gouvernement des concessions fondamentales. Une fois obtenues ces concessions, ils ont apaisé les choses. Ce qui m’a frappé aussi, c’était la volonté de Georges Pompidou de calmer le jeu en négociant et en accordant des concessions.
Il y a eu des défilés imposants, j’ai assisté à l’un d’eux rue Beaubourg en compagnie de Paul Thorez, le fils cadet des époux Thorez. Ce mouvement démontrait finalement le vide de cette civilisation qui se voulait triomphante, qui croyait aller vers une harmonie. Le Raymond Aron de l’époque, celui qui s’est trompé, voyait dans la société industrielle l’atténuation fondamentale de tous les grands problèmes, alors qu’avant même la crise économique de 1973, Mai 68 a révélé une crise spirituelle profonde de la jeunesse.
Les aspirations profondes de cette adolescence par rapport à ce monde d’adultes, c’était : plus d’autonomie, plus de liberté, plus de communauté. Les trotskistes et les maoïstes ont dit : « Nous pouvons réaliser ces aspirations. » Il y a eu un transfert de foi, au début c’était la révolte, le communisme libertaire, puis le mouvement a été capté par le trotskisme et le maoïsme sur la promesse de réaliser les aspirations juvéniles par la révolution [...]
M. W. : Et ensuite ?
Agnès Varda, L'une chante, l'autre pas, 1977
© Arnold Sachs / AFP
E. M. : Toute une série de tendances néolibertaires découlent de 68. Le féminisme n’était pas présent en Mai 68, mais il est sorti de là, le mouvement des homosexuels également. Roland Barthes était un homosexuel honteux avant 68, il est devenu un homosexuel assumé.
Il y a eu des changements de mœurs bien que rien ne changeât dans la société. J’ai conduit avec Nicole Lapierre et quelques autres une enquête, publiée dans un livre qui s’appelait bêtement La Femme majeure : nouvelle féminité, nouveau féminisme. L’étude était intéressante. Avant Mai 68, la presse féminine disait : « Faites de la bonne cuisine à votre mari, soyez belle », etc. À partir de cette époque, la problématisation remplace l’euphorisation. Cette presse commence à parler des difficultés de la vie : le vieillissement, le mari qui a une maîtresse, les enfants qui s’en vont. Cette problématisation commence à gagner de nombreux secteurs de la société. [...]
M. W. : L’image que vous proposez, finalement, est celle d’un mouvement qui a eu une courte préhistoire, Berkeley. Est arrivé 68, le souffle du moment fondateur qu’on trouve encore en 1978, et ensuite tout cela s’en va ou apparaît ailleurs.
E. M. : Il y a eu par la suite des grandes grèves, comme en 1995, des révoltes étudiantes, notamment contre la loi Devaquet (en 1986). Mais aucune n’a eu le caractère symbolique et mythologique de Mai 68. Il existe une tradition de révoltes étudiantes, mais jamais rien de comparable à 68.
L’événement pour moi s’est rétréci en 1988, c’est alors la fin du communisme, la Guerre froide se termine. Le Mai 68 français m’apparaît comme un moment symbolique de crise de civilisation où jaillissent des aspirations profondes, quasi anthropologiques (plus d’autonomie, plus de communauté) qui sont retombées et renaîtront sous d’autres formes.
Je maintiens que beaucoup de choses ont changé sans que rien ne change. Surtout sur le plan des mœurs, des sentiments, des idées. Et je rappelle que la classe adolescente s’était déjà formée avant Mai 68 et en a permis l’impulsion [...]
M. W. : En 2018, on est dans la commémoration, les cinquante ans, avec des tonnes de publications sur 68. Faut-il commémorer ? Parler de 68 comme d’un moment purement historique ? Ne faut-il pas redonner du sens à cette flamme ?
E. M. : Soixante-huit a incarné des aspirations très profondes qui étaient portées surtout par la jeunesse étudiante. Des aspirations que ressentent les jeunes et qu’ils oublient quand ils sont domestiqués dans la vie qui les intègre dans le monde. Des aspirations à plus de liberté, d’autonomie, et à de la fraternité, de la communauté.
Totalement libertaire, mais toujours avec l’idée fraternelle omniprésente. Ils ont combiné cette double aspiration anthropologique qui a jailli à différents moments de l’histoire humaine. Je crois que l’importance historique de Mai 68 est grande car elle a révélé cette aspiration ; et on a vu avec quelle facilité cette aspiration s’est fait domestiquer.
C’est ce qui s’est passé aussi avec le communisme. Mai 68 est de l’ordre d’un renouveau de cette aspiration humaine qui revient de temps en temps et reviendra encore sous d’autres formes.
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• © Arnold Sachs / AFP
「五月風暴追求更多自主、更多自由、更多社區情懷」Michel Wieviorka(社會學家及法國人文科學基金會FMSH主席)在2018年3月12日訪問了哲學家兼社會學家Edgar Morin。訪問內容獲 The Conversation 網站授權發佈。
Michel Wiewiorka:身在2018年,談到1968年的五月風暴,有種濃厚的懷古味道。對你而言,五月風暴的哪種性質仍然保持著生命力?是在想象力和文化這些主觀層面嗎?
Edgar Morin:對我而言仍然保持生命力的,首先是強烈的記憶。當時我們佔據而且改變了巴黎大學。我對五月風暴的第一個週懷著敬意。當時全球的大街小巷都在談論法國全國被癱瘓。心理分析諮詢室頓時十室九空、所有胃痛患者都得到舒緩,此外還有其他狀況。然而當一切回復正常時,這些狀況又回來了。
五月風暴第一週有點像1936年6月,正值我十來歲的少年期。當時大家都會互相對話。在我美妙的回憶裏,巴黎大學的氣氛快活歡暢。五月風暴這種不可能實現的事居然實現了。除了在Flins之外,這場「內戰」沒有人死(當時有學生為支持雷諾工廠的罷工而發動示威,一名17歲青年遇溺身亡)。這是場嚴肅的賭局,賭局的形式是革命,但沒有人押上性命,最多只是一些暴力衝突。所以沒有人心存芥蒂 [……]
M. W.:一開始是學生運動、青年運動,並沒有工人運動。只是後來工會始料不及地參與其中。你有對無產階級、工人階級、工人運動發表過評論嗎?
E. M.:我在自己的文章中提過,五月風暴與其他運動不同,它並沒有保持純綷的大學生運動性質,反而漫延至青年工人和高中生群體。無論如何,由於五月風暴有相當的時間長度和威力,因此後來還是刺激了起初克制的各個工會。工會最後更將行動不斷升溫,逼使政府作根本讓步。當政府願意讓步後,工會就緩和了行動。同樣令我意想不到的,是總理龐比度願意以協商和讓步平息局勢。
當時有些遊行相當壯觀,我還和Thorez夫婦的幼子Paul Thorez一同參加了Beaubourg大街的遊行。這場運動最後曝露了這個璀璨文明的空洞;當初他們以為自己正走向和諧。當時的Raymond Aron也弄錯了。他認為工業社會的各種重大問題都正在根本上緩和,然而早在1973年的經濟危機之前,五月風暴已經曝露了年青人的深層精神危機。
相對於成年人的世界,年青人極盼望有更多自主權、更多自由、更多社區情懷。托洛斯基主義者和毛澤東主義者說過:「我們可以實現這些願望。」人的信念發生轉變。起初是叛亂和共產主義的解放,然後運動充滿著托洛斯基主義和毛澤東主義色彩,向年青人承諾會以革命實現他們的理想 [……]
M. W.:然後呢?
E. M.:1968年萌生了一連串的新自由主義浪潮。五月風暴裏並沒有女權主義,但五月風暴卻是衍生了女權主義;同性戀運動也是。Roland Barthes在1968年前恥於身為同志,後來他確認了同志的身分。
雖然社會並無任何改變,但有些習慣還是變了。我訪問了Nicole Lapierre和其他女士,並出版了一本書。書名相當拙劣,叫《大女人:新女性,新女權主義》( La Femme majeure, nouvelle féminité, nouveau féminisme)研究的結果甚為有趣。五月風暴之前,女性書刊的內容大都寫這些:「為你丈夫烹調佳餚,保持美貌」。然而此後,問題化 (problematisation) 取代了粉飾太平。傳媒開始談論生活中的難處:衰老、丈夫外遇、兒女離開。「問題化」開始得到了社會多個業界的認同。[……]
Agnès Varda, L'une chante, l'autre pas, 1977
M. W.:你最後所選的圖像,是柏克萊某個短暫運動的背景。1968年發生的運動,其精神火花竟然再在1978年出現,並且向各處漫延。
E. M.:後來發現不少大規模的罷工(例如1995年)、大學生騷亂(特別是1986反對高校入學選拔法案La loi Devaquet的暴亂)。然而,當中沒有一個帶有五月風暴的象徵意義和神話色彩。大學生騷亂的傳統悠來已久,但再也比不上五月風暴。
我認為這個傳統在1988年淡化了,當年共產主義走到盡頭,冷戰也結束。對我來說,法國的五月風暴像是象徵著文明出現危機並因而引發的騷動,這場騷動孕育了有深度,甚至達到人類學層次的理想(更多自主、更有社區情懷),雖然再次倒下,但勢必以其他方式再現。
我還是認為,很多事物看似全無變化,但已經變化,例如在禮儀、情感、概念的層面。我還記得青少年階層早在五月風暴前已經形成,他們欣然接受了這場運動的激情[……]
M. W.:現在是2018年,正好是五月風暴的五十週年,相關的出版物鋪天蓋地。我們應否紀念五月風暴?我們應否視五月風暴為純綷的歷史運動?我們應否為這場運動的火焰賦予意義?
E. M.:五月風暴孕育了當時大學生所懷抱的深刻理想。這些當時年輕人曾經懷抱著的理想,在他們融入生活後漸漸被淡忘,然而世界也同時吸收了這些理想。這些追求更多自由、自主權、博愛、社會情懷的理想。要求絕對自由,但博愛的思想又無處不在。他們竟將這兩種在人類歷史裏不同時段出現的理想合而為一。我相信五月風暴有重大歷史意義,因為它揭示了這項理想,而我們目睹這項理想輕易被社會馴服的過程。
共產主義的遭遇也是一樣。五月風暴是人類理想的革新,它會化作不同的形式,在將來不斷捲土重來。
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