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Texte : Matthieu Motte

 
 

« Revoir la ville en fête et en délire »

 
 

A l’occasion du concert « La vie en Rose » donné par la chanteuse française Anne Carrère le 20 juin prochain dans le cadre du festival Le French May, Paroles livre une réflexion sur les paroles de « La Foule », succès planétaire d’Edith Piaf.

La Foule fut l’un des plus grands succès de la Môme, dont les paroles furent imaginées en novembre 1957 par Michel Rivegauche sur une musique de l’Argentin Ángel Cabral. Piaf avait alors défié ce jeune auteur de trouver les mots justes depuis une entraînante valse péruvienne qu’elle avait adoré : « Que nadie sepa mi sufrir » (Que personne ne sache ma souffrance). Un pari réussi qui vit Paris, la France et le monde virevolter au son et aux paroles de cette chanson.

Cinq petites notes, légères, et s’emballent l’accordéon et l’orchestre symphonique; partant les valseurs, partant l’émotion. Le diamant piaffe sur le sillon. C’est un emportement universel et imparable. Comme hypnotisé, le danseur qui sommeille en chacun quitte sa chaise pour rejoindre une cavalière imaginaire. 60 ans après, ce rythme ternaire ne s’est pas terni.

Cinq petites notes, légères, et s’enflamment et les foules, et les amourettes, d’un soir, qui se verraient bien transir pour l’éternité. La chaleur des bras d’une femme épousant ceux d’un homme. C’est le mythe d’Empédocle revisité un soir de bal de quatorze juillet. Chacun retrouve sa moitié. « C’est lui pour moi, moi pour lui » comme chantait déjà Piaf dans La vie en rose.

Cinq petites notes, légères, qui confinent au délire collectif, à une danse de la Saint-Guy dont on ne veut plus s’extraire. Ce désarroi final évoque le sonnet A une passante de Charles Baudelaire et sa pointe assassine « ô toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais ». Un sentiment de désespoir mais aussi de vengeance, de revanche face à cette foule, cette multitude, que l’auteur des Fleurs du mal allégorisait en Hydre !

La Foule est une chanson élégiaque. Celle du temps qui passe et qui ne nous laissera pas de seconde chance. C’est la mélopée du « perdu à jamais » qui rend les belles rencontres si fragiles. Une chanson qui respecte l’unité de temps d’une valse, de l’aube des regards jusqu’au déclin du volume, où subrepticement les doigts se quittent dans l’effleurement d’un adieu résolu et d’un dernier regard.