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Subtile observatrice de l’émergence d’un système de classes à l’aube du XIXe siècle, la littérature a incontestablement précédé la sociologie. Balzac ou Flaubert avaient ainsi mis en scène l’essor de la bourgeoisie aux débuts de l’ère industrielle. Aujourd’hui, après le succès en librairie et l’attribution du prix Goncourt à Leurs enfants après eux de Nicolas Matthieu en 2018, nombreux sont les écrivains qui, attentifs aux évolutions de la société française, continuent de scruter celle-ci dans leurs romans.
Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit, La Manufacture de livres, 2020
Un père tente de se reconstruire après le décès de sa femme, et d’élever seul ses deux fils, l’un sportif et taiseux, l’autre très bon élève. Ce premier roman dépeint une région sinistrée, la Lorraine, où les rares ouvertures d’usines constituent un évènement majeur, tandis que l’ancien tissu associatif et militant se délite inexorablement. Employé à la SNCF, le narrateur se retrouve désemparé lorsque son fils aîné commence à fréquenter un groupe proche de l’extrême-droite. L’auteur, qui donne à entendre la langue et les expressions régionales, décrit, avec un mélange de pudeur et de sensibilité, l’impossibilité du dialogue, et le fossé qui se creuse progressivement entre les deux personnages. Jusqu’au jour où l’irréparable est commis…
Fatima Daas, La Petite Dernière, Éditions Noir sur Blanc, 2020
Dans cette autofiction qui est également un premier roman, l’auteure nous emmène en banlieue parisienne : Fatima Daas grandit dans un appartement exigu de Clichy-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, au sein d’une famille d’origine algérienne très pieuse. À travers des chapitres très courts, elle évoque sa maladie, l’asthme, avec laquelle elle doit vivre, la violence paternelle et la violence des rapports sociaux, mais surtout la découverte de son homosexualité et son rapport complexe à la foi. C’est l’histoire d’un cheminement, où comment, après avoir longtemps tenté de se faire passer pour quelqu’un d’autre, l’on décide finalement de vivre avec ses contradictions et d’affirmer une identité plurielle, à rebours de celles, simplistes, auxquelles nous sommes réduits.
Marie-Hélène Lafon, Histoire du fils, Buchet/Chastel, 2020
À travers douze chapitres qui relatent chacun une journée précise, l’auteure retrace l’histoire d’une famille française sur plusieurs générations, de 1908 à 2008. Le récit n’est pas exactement chronologique : petit à petit, les liens se tissent, les parentés se précisent et les non-dits apparaissent au grand jour. Dans une langue très riche, M.-H. Lafon donne à voir les familles décimées par la saignée de 14-18, les fils de notables de province montant à Paris pour faire leur droit ou leur médecine et les choix divers des uns et des autres durant l’Occupation. Elle accorde une place majeure au regard des femmes et aux difficultés rencontrées par celles qui cherchent à s’émanciper et mener la vie qu’elles souhaitent. La géographie sert de fil conducteur : le Cantal et le Lot, d’où sont issus les aïeuls, jusqu’aux dernières générations, qui évoluent dans un environnement mondialisé, et se détachent petit à petit de leurs origines. |
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