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Arthur Rimbaud, Poésie, collection Livre de poche
Matthieu Motte, de Sauvés pour le Bac (www.sauvespourlebac.com), célèbre les 170 ans de la naissance d’Arthur Rimbaud, dont le recueil Les Cahiers de Douai, est au programme de l’épreuve de littérature du baccalauréat.
« J’ai vu des archipels sidéraux ! Et des îles dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur... » Quel tohu-bohu plus triomphant que la poésie d’Arthur avant qu’il ne devienne Rimbaud ? Du poème Sensation, simple et beau comme une bohème d’ado aux fulgurances du Bateau ivre, un an à peine s’est écoulé. De l’amour infini qui lui monterait dans l’âme au rut des Béhémots, aux maelstroms épais, au million d’oiseaux d’or, quelques mois à peine se sont égrenés. Quelques semaines décisives et jaculatoires au cours desquelles le voleur de feu est devenu le voyant suprême. Au gré de fugues, les poings dans les poches crevées, de sonnets inspirés par la nature, divine, et des oaristys, interlopes ; s’appliquant à devenir visionnaire comme en témoignent ses lettres prophétiques de mai 1871, l’écolier surdoué de Charleville va bouleverser la poésie et la littérature française pour les deux siècles à venir.
Voyelles ! Naissances latentes…
Création IA par Midjourney : prompt sur Arthur Rimbaud |
Une auberge à la Grande Ourse qui scintille, des voyelles versicolores à l’instar d’étoiles au doux frou frou, des neiges éblouies, des sèves inouïes, un cœur fou qui robinsonne dans les aubes exaltées… La lecture des Cahiers de Douai, poèmes de jeunesse d’Arthur sauvés des flammes par Paul Demeny dont la postérité ne retiendra que ce geste, est jubilatoire pour l’humble exégète qui cherche les prémisses des visions, les prodromes du malin génie. Le 30 septembre 1871, Arthur déclame au dîner des Vilains Bonshommes un « Bateau ivre » dont le delirium de cent alexandrins laisse les commensaux pantois. Parmi eux un certain Verlaine qui avait pressenti que le prodige viendrait à sourdre lorsqu’il lui adressait déjà la célèbre invite : « Venez, chère grande âme. On vous appelle on vous attend ». Comment ce miracle d’hallucination simple a pu se produire ? Rimbaud n’a alors jamais vu la mer : l’ivresse combinée au haschisch ? La lecture passionnée de Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Vernes, comme certaines biographies le suggèrent ? Mystère et houles du môme. Du haut de ses seize ans, comme depuis une vigie oraculaire, le fugueur de Charleville méduse l’assistance en dégoisant ses fusées, ses visions « sous les rutilements du jour, plus fortes que l’alcool, plus vastes que les lyres ». Il semble être « arrivé à l’inconnu » où nul poète hormis Baudelaire ne s’était égaré, et quand, « affolé », il aurait pu « perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! » comme il l’écrivait quelques mois plus tôt dans ses Lettres du Voyant (15 mai 1871).
Vibrements divins des mers virides
Le jeune Arthur marque les esprits, tant par ses frasques - il s’encrapule, on le paie en bocks et en filles - que par sa gueule d’ange. Sa rébellion est permanente, sa dissidence consubstantielle : il brûle de tout brûler sur son passage, de faire tabula rasa des clichés romantiques décatis et d’ériger une poésie « en avant », au delà du réel : « J’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. » Précoce il voulut la rupture, surdoué il invoqua l’inédit, prodigieux il projetta l’inouï. Tout était déjà en germe, prêt à éclore, fusionner et réverbérer. En 1873, dans Une saison en enfer, il y a au milieu des proses révulsées (inspirées des nuits de débauches de Bruxelles à Londres avec la « Vierge folle, l’époux infernal » Verlaine) l’aveu d’une invention synesthésique qui apporte un éclairage « colorié » sur la première palette du jeune poète :
« À moi. L'histoire d'une de mes folies.
J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge,
O bleu,
U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges. »
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer (1873).
Le génie du mal ou celui du bien ?
Mais revenons en arrière, rebroussons chemin sur les pas du
« passant considérable », du « fileur éternel des immobilités bleues » à venir car se décèlent déjà sous l’orage des premiers sonnets les fulgurances à venir.
Les Cahiers de Douai palpitent comme une aube exaltée, comme le point du jour d’une pensée qui va s’altérer en vision oméga, « rayon violet de ses Yeux! ». S’affondant dans le mal pour incanter la beauté, Arthur finit par la trouver amère et l’injurier sans ambages. Ses instituteurs avaient prévenu : « Rien de banal ne germera dans cette tête ; ce sera le génie du mal ou celui du bien ». Voyant et voyoun, Arthur, poète démiurge qui colligea ses voyelles comme les monades d’une cosmogonie délirante et prophétique (une des clés de l’énigme de Voyelles serait d’ailleurs l’Apocalypse de Saint-Jean et ses visions hallucinées des quatre cavaliers; cf Cosme de Guillaume Meurice paru en 2018).
Relire Rimbaud. Même si vous ne passez pas le bac français en juin! Tout Rimbaud. S’en faire un compagnon de route quelque soit la ligne d’horizon. Embarquer sur les clapotements furieux de cette verve qui agrégea pour toujours l’art de rimer avec la fureur de vivre. Le relire c’est se baigner dans le Poème de la Mer, lactescent parce que nourri des promesses de la voie lactée, le relire c’est agrémenter son quotidien d’un supplément d’âme, sublimer une réalité ingrate et indifférente et faire comme Rembrandt de toute carcasse un temple d’entrailles; de chaque nuit obscure et solitaire une auberge à la Grande Ourse.
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