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Bernard Cerquiglini est Professeur de linguistique à l'université Paris VII - Diderot. Il est depuis mai 2020 vice-président de la Fondation Alliance française. Il présente également l'émission linguistique quotidienne de format court Merci professeur ! sur TV5MONDE. |
« La langue anglaise n’existe pas », C’est du français mal prononcé… Une affirmation avec une pointe de provocation et d’humour bien dans le style de Bernard Cerquiglini. Mais aussi une vérité plus profonde, celle de l’érudit. Quelle est la part de l’humour et de la provocation et quelle est la part d’érudition, le moment est venu de démêler les fils. Entretien avec Bernard Cerquiglini.
Vous venez de faire paraître un essai intitulé de manière provocante et malicieuse La langue anglaise n’existe pas - C’est du français mal prononcé. Vous revenez sur l’histoire de l’anglais et vous éclairez la fusion du saxon et du français médiéval. Comment peut-on dater cette période ?
Tout cela s’est passé entre le milieu du XIe siècle et la fin du XIVe. Mais les linguistes ne s’intéressent en général qu’à la première partie de cette période. Or la seconde, négligée, est tout à fait passionnante.
En 1066, Guillaume de Normandie défait le roi Harold à Hastings et conquiert l’Angleterre. On a donc d’abord une situation coloniale classique, verticale ; une aristocratie normande se partage les fonctions du pouvoir, et le bilinguisme imposé a des effets évidents sur la langue en usage. Le français est la langue religieuse, juridique, militaire, et celle du gouvernement féodal. On comprend ainsi que l’anglais est un musée de l’ancienne langue française. Cette première époque se termine vers 1260, lorsque cesse la transmission maternelle du français. Le siècle et demi qui va suivre propose une situation très originale: le français est langue seconde, appris à l’école, mais reste celle du commerce, de la foi, du gouvernement et de l’administration. Le grand écrivain Chaucer est directeur des douanes, et il les dirige en français ! Bon nombre de mots français vont devoir passer en anglais. Paradoxe: le français rayonne alors qu’il n’est plus langue maternelle.
Saluer à la française, saluer à l’anglais, caricature du XIXe siècle
À cette même époque on invente la grammaire française. Les premiers manuels, les premiers traités d’orthographe apparaissent, de même que le mot françeis pour désigner la langue. Jusque-là, on parlait de lingua romana rustica, par exemple au Concile de Tours, puis de romanz. Philippe de Thaon, dans son Comput, parle, en Angleterre, de la « langue des Francs » ! Elle est donc d’abord désignée par un Anglo-Normand ! Tout ceci n’a rien d’étonnant : la réflexion philologique s’est toujours développée aux marges d’une zone linguistique centrale, là où une certaine insécurité favorise un regard théorique sur la langue. Les premiers grands linguistes modernes francophones vivaient en Belgique, ensuite en Suisse.
La différence entre l’anglo-normand et le saxon recoupe-t-elle celle qu’on observe entre le gallo-romain et le gaulois ?
Oui plus ou moins. Le saxon reste une langue rurale, on en a un bon exemple avec la dénomination des animaux : le saxon parle d’ox ou de pig. Le français d’Angleterre de veal ou de pork : les bêtes qu’on élève sont nommées en saxon ; celles qui sont dans l’assiette du seigneur le sont en anglo-normand ! On en a un écho dans la première scène du roman historique de Walter Scott, Ivanhoë ! La grande différence entre ces deux histoires, c’est que le celte a disparu !
Comment expliquez-vous qu’un créole ne soit pas né de cette situation coloniale ?
C’est que les langues ont des fonctions différentes : le français féconde l’anglais, et ils se fondent, se mélangent - exactement ce qu’exprime le latin mergere.
Peut-être aussi parce qu’on a deux langues en présence, et non une langue dominante face à une multiplicité d’idiomes, interdisant une intercompréhension facile des populations dominées… ?
C’est vrai aussi, mais il ne faut pas exagérer l’unicité du saxon : il y a beaucoup de variations selon les régions où il est parlé.
Vous citez de nombreux mots d’origine française passé dans le vocabulaire anglais. Et parmi eux, certains m’ont surpris : war par exemple.
En effet, rien n’est plus germanique que ce terme. Il est d’origine francique mais a transité par le normand d’où il passe en anglais. De même le porridge ! Je l’ignorais mais ce mot, le plus british de tous, vient pourtant de chez nous : il se rattache semble-t-il à notre potage, auquel vient probablement se rajouter un peu de poireau! Tout cela attesté par l’Oxford Etymological Dictionary qui est la Bible de tout linguiste anglicisant. Et le pédigrée alors ! Aurait-on dit qu’il venait de France ? C’est pourtant le cas : les arbres généalogiques étaient parfois représentés sous des formes étonnantes, parfois de volaille. Et les origines se retrouvaient dans les pattes de la grue ! Voilà comment le pied de grue, avant d’être associé à une attente agacée, évoque une généalogie ancienne, attestée et prestigieuse.
Vous consacrez également un chapitre à la phonétique historique, c’est-à-dire à l’évolution de la prononciation, la transformation des voyelles, des consonnes, des groupes de lettres: une discipline un peu incertaine, qui compare l’écrit à un oral supposé. En quoi ces évolutions permettent-elles de comprendre la formation de l’anglais moderne ?
Malgré ce flou relatif, la phonétique historique est aujourd’hui une discipline appliquée et solide. Et elle permet de comprendre comment se fabrique de l’anglais. À partir de la phonétique du normand, on observe des changements très réguliers qui nous éclairent sur la morphologie anglaise. La consonne initiale par exemple tombe souvent, ce qui nous donne vanguard à la place d’avant-garde, ou spy à la place d’espion. La place de l’accent tonique fait aussi comprendre comment une voyelle non accentuée, située entre deux consonnes peut disparaître: le -ou- de couronne s’éclipse, les deux consonnes se joignent et on obtient crown. Et lorsque l’anglais accepte un mot français, il y ajoute un fort accent tonique.
Vous évoquez aussi un phénomène bien connu : le ping pong de part et d’autre de la Manche. De nombreux mots vont et viennent entre les deux langues, dans un mouvement pendulaire. Et parfois vous moquez la prononciation des anglicismes dans les bouches françaises.
C’est le cas du voucher par exemple, que j’aurais tendance à prononcer de façon totalement francophone, comme on dit boucher. Le latin, à partir du nom vox crée le verbe vocare qui signifie attester. D’où le voucher, en anglo-normand puis en anglais et en américain modernes, qui désigne un bon : il certifie que vous avez payé pour votre chambre d’hôtel ou votre passage sur un bateau. Prononcer le mot à l’anglaise est tout à fait saugrenu, mais presque tout le monde le fait, comme ce peut être le cas pour le bacon, le lard fumé. En revanche le challenge résiste. Le mot est très fréquent en ancien français dans le vocabulaire des tournois : il s’agit d’un défi. Et on l’utilise encore en français, pour nommer une célèbre compétition de tennis.
Ces mouvements pendulaires nous font comprendre certains phénomènes de faux-amis - ces mots presque semblables dans une langue et dans l’autre, mais dont les sens diffèrent. Prenez le bachelier par exemple: en ancien français, c’est un jeune homme qui n’est pas encore chevalier, sans aucune référence à un statut marital. Mais le Godefroy, premier monumental dictionnaire d’ancien français qui parait à la fin du XIXe siècle, mentionne deux occurrences du mot bachelier qui évoquent le célibat. Et dans les deux cas, il s’agit de textes écrits en Angleterre. On voit ainsi comment l’anglais adapte et modernise le normanno-français.
On a donc avec ce XIVe siècle l’une des plus belles périodes de l’histoire du français, qui permet parfois de retrouver de lointaines origines, et tout un voyage linguistique. Le mail en est un bon exemple. Il nous fait remonter à la malle qui transporte le courrier, finit par le désigner et se concentre enfin sur l’idée du message qui prévaut aujourd’hui dans le monde informatique.
Et que pense le linguiste que vous êtes des nombreux anglicismes qui fleurissent en français? Craignez-vous l’invasion ?
CIls sont nombreux, mais parler d’invasion est excessif. D’abord souvenons-nous que de nombreux anglicismes disparaissent sans laisser de traces. Le français moderne est un cimetière de ces mots morts dans l’indifférence générale. Le dancing et la surprise-party appartiennent au passé, comme l’adjectif fashionable qu’on trouvait chez Balzac et Baudelaire.
En revanche on remarque que le suffixe - ing est intégré au français d’aujourd’hui. Et même productif : il permet de forger des mots inconnus de l’anglais - le fooding n’existe qu’en France !
Je suis donc optimiste pour l’avenir de notre langue, et j’ai envie de dire à nos concitoyens: « Soyez fiers de votre français ! Il est parfaitement équipé ! ». Le danger réside dans le désir d’anglicisme, dans les séductions de la mode, plus que dans l’anglicisation elle-même. Il faut avoir confiance, tout en restant vigilants : prononcer voucher à l’anglaise, c’est une allégeance atlantiste !
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« La langue anglaise n'existe pas », C'est du français mal prononcé...(英國語言不存在,那只是發錯音的法文),伯納德.塞爾奎利尼(Bernard Cerquiglini)如此具挑釁性和幽默的斷言,非常有他的個人風格。然而若深入探索,這句話確實有其學術上的道理。到底當中有多少是幽默和挑釁,又有多少是真正的知識?現在就讓我們透過這次訪問,釐清一切。
Folio Essais, 2024 |
您剛出版的論文題為《La langue anglaise n'existe pas - C'est du français malprononcé》,標題具有挑釁和惡作劇意味。您回顧英文的歷史,並探討撒克遜語(saxon)和中世紀法語的融合。可以介紹一下這個時代嗎?
一切發生於11世紀中至14世紀末之間,但語言學家感興趣的通常只是這時期的前半部分,被忽略的下半部分其實非常有趣。
1066年,諾曼第公爵紀堯姆(Guillaume de Normandie)在喜士定之戰中擊敗國王哈羅德(Harold),征服了英格蘭,於是我們要首先面對典型的殖民局面。由上而下,諾曼第貴族瓜分了權位,而無可避免的雙語環境對當時的語言產生了明顯影響,而法文是宗教、法律、軍事和封建政府使用的語言。因此,英文其實可說是古法文的「博物館」。這個時期一直延續到大約1260年,當法語不再以母語的方式傳承時而結束。接下來的約一百五十年出現了非常特別的情況,法文成為人們在學校裡學習的第二語言,但是商業、信仰、政府和行政卻仍使用法文。大文豪喬叟(Chaucer)出任海關監督時,便是以法文作為管理的語言!許多法文詞語因而進入了英文的詞匯。儘管法文再不是時人的母語,然而法文依然有著重要地位。
法文文法就在這時誕生。首批拼寫指南和論文相繼出現,而人們亦開始以「françeis」這個字來代表法文。在此以前,人們將這種語言稱為「lingua romana rustica」,例如在圖爾會議(Concile de Tours)中便是這樣,之後就稱之為「romanz」。而在英國,Philippe de Thaon便在其著作《Comput》中將其稱為「langue des Francs」(法蘭克人的語言)!因此,「法文」這種說法是出自一位盎格魯諾曼人(Anglo-Normand)筆下!這一點都不令人驚訝,語言學的反思總是在語言中心區域的邊緣地帶醞釀起來,不穩定的情況促進了對語言的理論思考。最早期的傑出法文現代語言學家便是在比利時出現,之後就是瑞士。
盎格魯諾曼語(Anglo-normand)和撒克遜語(Saxon)之間的差異,是否和高盧羅馬語(Gallo-Roman)和高盧語(Gaulish)間的差異互相吻合?
是的,或多或少都吻合。不過,撒克遜語是一種農村語言,動物的名稱就是好例子,在撒克遜語中,牛和豬分別是「ox」和「pig」,而在英格蘭的法語中則將其稱為「veal」或「pork」。人們飼養的牲畜以撒克遜語命名,而領主盤子上的肉就以盎格魯諾曼語命名!在華特.司各特(Walter Scott)的歷史小說《撒克遜英雄傳》(Ivanhoe)的第一幕中,便反映了這一點!這兩段歷史之間的重大差異,就是塞爾特語(Celtic)已經消失了!
您如何解釋克里奧爾語(Creole)並沒有因殖民而產生?
因為不同語言有著不同的功能,「法文孕育英文,而兩種語言又互相影響和相融」——就正如拉丁文「mergere」的意思一樣。
或許這亦是因為那時的情況是兩種主要語言並存;而不是以一種主要語言為主,同時存在多種方言;從而避免被征服者之間無法順利溝通?
這也是事實,但撒克遜語沒有那麼統一,而是隨著地區而有很多變化。
您列舉了許多源自法文的英文生字,其中一些讓我很驚訝,例如「war」戰爭。
其實這個字非常有日耳曼特色。它源自法蘭克語,但卻是由諾曼語傳入英語之中。「porridge」麥片粥也是一樣!我以前並不知道,但這個英國味甚濃的詞語其實是來自法文。這似乎和我們的湯「potage」有關,大概又和我們在湯裡加入韭蔥「poireau」有關!這一切都得到《Oxford Etymological Dictionary》(牛津字源詞典)證明,這是所有英文語言學家的聖經。然後血統「pedigree」呢,這個詞語也是來法國嗎?這個詞語可以指家族的家譜,有時也可以是指家禽的血統表。而它的起源就是法文「pied de grue」(鶴腳)!法文中的「Faire le pied de grue」現在是指站著呆等,而以前就指古老顯赫,而且有證據可考究的家譜。
您還專門用了一個章節討論歷史語音學,也就是發音、元音、輔音和字母組合的演變。這門學問將文字和口語作比較,並不算是有肯定根據的學科。這些演變如何幫助理解現代英語的形成?
雖然歷史語音學中存在著一定的不確定性,但在今天,這是一門有穩固基礎的實用學科。它幫助我們理解到英文的起源。從諾曼語的語音學中,我們觀察到非常有規律的變化,並因而可深入了解英語詞法。例如,英語的首字母輔音經常會消失,所以前衛「avant-garde」就變成了「vanguard」,而間諜「espion」就變成「spy」。重音位置也解釋了輔音之間的非重讀元音為何消失,例如「couronne」中的「ou」便不見了,兩個輔音連在一起成為「crown」。當英文引入法文字時,總是會在其中加入強烈的重音。
您也提到了一個眾所周知的現象,英吉利海峽兩岸之間總是你來我往,詞匯的交流就像打乒乓球一樣。許多詞語在兩種語言中來回流轉,像鐘擺一樣擺動。有時您還會取笑法國人說英文詞語時的發音呢。
舉例來說,英文的票券「voucher」,我就傾向完全用法語讀法,就像法文的屠夫「boucher」一樣。在拉丁文中,名詞「vox」衍生出動詞「vocare」,意思是證明。而在盎格魯諾曼語和現代英語、美語中,「voucher」指證明您已為旅館房間或船票付款的單據。如果用英語發音的話就相當奇怪了,可是幾乎所有人都這樣做,就像煙肉「bacon」的發音般。挑戰「challenge」就不一樣,它沒有變。古法文之中常常見到這個詞語,特別在關於比賽時。現代法文依然用到它,尤其是為著名的網球比賽命名。
這種詞匯交流亦衍生了誤認字義的情況,某些英文和法文字非常相似,然而意義不同。在古法文中,「bachelier」是指尚未成為騎士的年輕人,與婚姻狀況無關(英文的「Bachelor」是指單身漢)。然而,在十九世紀末出版的首部古法文大辭典《Godefroy》中,就出現了兩處「bachelier」代表「單身」的內容。不過,兩次都是在英國所寫的文本中出現。由此可見,英文影響著諾曼法語,並使其現代化。
因此,十四世紀是法文歷史中的一個美好時期,讓我們可追本溯源,展開了一段語言的時光旅程。「mail」就是一個好例子,這起源自郵件馬車「malle」,而在如今的資訊科技世界中,則主要指電郵。
作為語言學家,您對法文中出現大量英文詞匯有何感想?您有否擔心法文被入侵?
這樣的情況實在很多,但將它說成是入侵就誇張了。首先,在現在的法文中,有很多曾經出現的英文詞語其實已經消失得無影無蹤,消逝在現代法文的詞匯墳場之中了。舞廳「dancing」和驚喜派對「surprise-party」已經成為過去,就像曾在巴爾扎克和波德萊爾的作品中出現過的時尚「fashionable」一樣。
然而,英文詞尾「-ing」已經融入在現今的法文,甚至能夠產生出新的詞語,例如簡單美食「fooding」就是法國獨有,英文中並無此字!
我對法文的未來感到樂觀,而且我想對法國人說:「為法文而自豪吧!這是很完善的語言,足以面對挑戰!」危險之處在於我們對英語化的欲望、潮流的誘惑,而不是法文英語化本身。我們必須有自信,同時保持警惕——以英語方式讀出「voucher」,就是效忠大西洋主義!
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